Martin Boonen
17 February 2023
Après Dirk Frimout, après Frank De Winne, la Belgique vient de décrocher son troisième astronaute avec la sélection par l’ESA (European Space Agency, l’Agence spatiale européenne) de Raphaël Liégeois. Un exploit pour un pays de la taille de notre petit royaume ! Derrière cette éclatante réussite, se cache tout un écosystème spatial extrêmement dynamique en Belgique.
L'Histoire et le futur : rencontre entre astronautes belges, Dirk Frimout et Raphaël Liégeois © Philip Reynaers / Photonews
Qui de mieux placé que le docteur Guerric de Crombrugghe pour nous aider à faire le tour de la question ? PhD en ingénierie aéronautique, aérospatiale et astronautique de l’Université du Queensland, en Australie, il connaît le marché spatial belge comme sa poche. Avant son doctorat, il était ingénieur en électromécanique à l’UCL, avant de boucler un master complémentaire de recherche en mécanique des fluides à l’Institut von Karman. Après sa thèse australienne, il a travaillé chez OHB, à Anvers, l’un des plus importants constructeurs de satellites en Europe. Il a poursuivi sa jeune carrière à la Sabca, un fleuron de l’aéronautique belge. Il a ensuite été contacté par Thierry Du Pré-Werson, le patron de Spacebel, pour prendre la direction de ScanWorld, une start-up, spin-off de Spacebel, spécialisée dans la fourniture d’images hyperspectrales par satellite pour les besoins de l’agriculture. Bref, université, centre de recherche, entreprises installées ou start-up, Guerric est passé partout et a – presque – tout vu.
Le Dr Guerric de Crombrugghe, General Manager de la startup belge ScanWolrd © Debby Termonia
“La Belgique a toujours beaucoup investi dans le spatial. L’une des raisons se trouve peut-être dans la politique de juste retour dans le financement de l’ESA”, explique d’emblée Guerric de Crombrugghe. Ce “juste retour” signifie que tout l’argent investi par un pays, individuellement, dans l’ESA doit revenir, dans les mêmes proportions, à l’industrie de ce pays. Cela en fait, dès lors un investissement utile et, surtout, précise Guerric de Crombrughe, “cela permet à un petit pays comme le nôtre d’avoir un pied dans des projets gigantesques auxquels il ne pourrait pas prétendre prendre part autrement”.
Secrétaire d’État fédéral pour la Relance et les Investissements stratégiques, chargé de la politique scientifique et notamment du budget fédéral consacré à l’ESA, Thomas Dermine représente la Belgique au sein de l’agence spatiale européenne. “Avec ces gros projets auxquels nous participons, enchaîne Guerric de Crombrughe, nous avons développé une certaine compétence, particulièrement en Wallonie”. La Région wallonne a, effectivement, fait de l’aéronautique et du spatial l’un de ses pôles de compétitivité et a largement investit dans ces domaines. Skywin, le pôle aérospatial wallon, investit dans quatre ou cinq projets liés au spatial ou à l’aéronautique, à hauteur d’un à deux millions chaque fois, soit au total plus de 15 millions par an (273 millions d’euros investis depuis 2007).
Thomas Dermine (PS) © Didier Lebrun/Photonews
Cette manne profite directement et indirectement à quatre grands acteurs. En premier lieu, des acteurs mondiaux majeurs qui, au fil de leurs acquisitions, détiennent aussi une filiale chez nous. “Avoir une antenne dans chaque pays finançant l’ESA permet d’augmenter le nombre de retours dont on peut bénéficier”, pointe Guerric de Crombrugghe. Dans cette catégorie, on dénombre des mastodontes comme Thales Alenia Space qui a installé la plus grosse usine de satellites en Europe à Charleroi et en plus de ses sites à Louvain, et Hasselt (pour profiter de la clé de répartition du budget typiquement belge). Outre Thales, on peut mentionner Safran Aero Boosters, qui siège à Herstal et va créer une nouvelle usine à Marchin (province de Liège), et Antwerp Space (OHB SE), à Anvers.
© Jonathan Sarago/MEAE via Bestimage
Le deuxième type d’acteur constitue un tissu de PME qui accompagnent ces grands groupes en Belgique. “Spacebel, pour prendre un exemple que je connais bien, c’est cent personnes qui font presque exclusivement du software pour le spatial.” Citons aussi Amos, à Liège, qui produit des solutions optiques pour le spatial, ou Deltatec, également à Liège (Ans), spécialiste des composants électroniques pour satellites, ou encore Space Application Services, à Woluwe-Saint-Étienne, firme experte notamment dans la robotique et l’impression 3D sur la Lune.
“Ces deux premières catégories, explique Guerric de Crombrugghe, travaillaient d’ordinaire principalement sur des projets institutionnels, mais elles commencent à s’ouvrir à d’autres débouchés commerciaux.” Cette appétence commerciale est d’ailleurs l’apanage du troisième groupe d’acteurs : les entreprises dont l’activité dans le spatial trouve des débouchés au sein de la société civile. C’est le cas de ScanWorld dont nous avons déjà parlé (L’Éventail a consacré, en mars 2021, un article à cette start-up, futur géant européen), mais aussi de Lambda-X, active dans l’optique, d’Aerospacelab à Louvain-la-Neuve, ou de Veoware, à Bruxelles, qui produit des composants pour positionner les satellites. Guerric de Crombrugghe note aussi que ces dernières années “les frontières du spatial sont devenues de plus en plus perméables”. Et de prendre pour exemple le projet Pulsar, dont Tractebel a pris la tête, relatif à la question de l’approvisionnement en énergie nucléaire dans l’espace.
Le plateau ucclois, dédié au ciel et à l'espace © DR
Le quatrième et dernier acteur est celui des centres de recherches où, là aussi, la Belgique se distingue. L’Institut von Karman, à l’origine financé par l’Otan, accueille des chercheurs issus des pays membres de l’Alliance Atlantique. Il est spécialisé dans la mécanique des fluides (un domaine précieux pour la balistique…). On pense aussi au SCK-CEN à Mol et au Centre Spatial de Liège (CSL). Sur le plateau d’Uccle, l’Observatoire royal de Belgique, l’Institut Royal Météorologique (IRM) et l’Institut royal d’Aéronomie spatiale de Belgique (IASB) ont tous des activités dans le domaine spatial. Ces institutions sont parfois représentées par des sommités belges comme l’astronome et physicien Michaël Gillon, à l’origine de la découverte du système exoplanétaire Trappist-1. Ou de Véronique Dehant, mathématicienne et géophysicienne, spécialisée dans le domaine de la rotation de la Terre et de la géophysique de la planète Mars. Sans oublier Sarah Baatout, directrice de l’unité de Radiobiologie du SCK-CEN, un domaine critique pour étudier le vivant dans l’espace (notamment les astronautes). “Ce sont des superstars dans leur domaine ! Ils ont placé la Belgique sur la carte de la recherche spatiale mondiale,” s’enthousiasme Guerric de Crombrugghe.
Hergé (Georges Remi dit) (1907-1983), "Bienvenue sur la Lune Mr. Armstrong ! Welcome!" © Hergé/Moulinsart
En discutant avec le spécialiste, on se rend compte de l’étendue et de la diversité des compétences belges dans ces domaines si pointus, complexes et hautement technologiques. Mais comment expliquer cette excellence belge en la matière ? On songe évidemment à des choix politiques et financiers pertinents… mais s’il y avait plus que ça ? L’espace a toujours fait rêver notre petit pays. Comme si nous trouvions dans l’immensité stellaire un remède à l’étroitesse de nos frontières. L’installation, en 1991, dans un coin perdu de l’Ardenne belge, à Redu, de l’Euro Space Center ne découlait pas d’une logique financière ou économique, mais bel et bien d’une ambition, d’un rêve sidéral… Après tout, le premier homme à marcher sur la Lune n’était-il pas un célèbre reporter belge à houppette ?
Photo de couverture : © DR/Shutterstock.com
Publicité