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B Corp : un chemin de croix vertueux

B CorpEntrepreneuriatInterview

Martin Boonen

22 June 2023

Aujourd’hui, quelle entreprise moderne ne se revendique pas durable, écologique, sociale… ? Pourtant quelles sont celles qui le sont vraiment ? Pour les différencier, il existe un label : B Corp. Indépendant et ultra exigeant, il ne concerne en Belgique qu’une cinquantaine de sociétés. Caramel Publishing vient d’obtenir cette précieuse certification. Pourquoi et comment ? Explication avec le CEO, Jean-Michel d’Oultremont.

Eventail.be – Qu’est-ce qui a motivé la volonté d’obtenir cette certification ?
Jean-Michel d’Oultremont – Après 24 ans dans le milieu bancaire, principalement à l’étranger, j’avais envie d’autre chose. J’ai eu la chance, en rentrant en Belgique, de devenir CFO (chief financial officer – directeur financier, ndlr) de l’Université Catholique de Louvain. Mes enfants avaient alors l’âge d’entrer à l’université ou presque, et donc le milieu académique m’interpellait. Mais une institution comme l’UCL est une structure extrêmement difficile à manœuvrer et à faire évoluer. C’est alors que l’opportunité de reprendre Caramel Publishing avec mon associé actuel, Jean-Luc Dubois, s’est présentée. Nous sommes une structure éditoriale de livre ludo-éducatif, petite par la taille, mais grande par l’impact puisque, via un réseau de hard discounters internationaux, nous vendons parfois nos livres par millions. Cela m’a plu parce qu’il y avait un moyen de mettre des valeurs, de l’éthique dans un produit éducatif destiné au plus large public possible. Nos livres sont destinés aux marchés de masse et nous l’assumons. Notre objectif est de rendre accessible au plus grand nombre des livres intelligents et bien faits.

– Et B Corp dans tout ça ?
J’y viens. Depuis le début, nous avions un positionnement très marqué sur l’engagement écologique et sociétal. Par exemple, nos produits sont tous recyclables, renouvelables et certifiés FSC (Forest Stewardship Concil, un label qui garantit que tous les produits sont conçus à base de fibres de bois issues d’une gestion forestière écologiquement appropriée, socialement bénéfique et économiquement viable, ndlr). Nous faisions donc déjà beaucoup d’efforts dans ce sens. Il y a deux ans, nous avons voulu lever des fonds et mis en avant, à cette occasion, notre engagement envers les populations et la planète. Nous avons été bien reçus par les investisseurs mais certains nous ont fait remarquer qu’il était possible d’aller encore plus loin. C’est alors que nous avons entendu parler de B Corp.

– Qu’est-ce qui vous a convaincu de vous lancer dans le processus de certification ?
Le sérieux, l’indépendance et la méthodologie de ce label sont inattaquables. Alors que les labels douteux, peu crédibles, quand ils ne sont pas simplement malhonnêtes fleurissent et alimentent la machine du green washing, B Corp est au contraire extrêmement transparent et vertueux. Nous avions envie de faire partie du mouvement, de prendre nos responsabilités. Vous savez, j’arrive à un âge où je me rends compte que c’est sans doute, sans le vouloir, sans en avoir vraiment conscience, ma génération qui a contribué aux dérèglements climatiques que nous connaissons actuellement et qui risque de s’accentuer encore. J’avais vraiment envie de penser et d’agir pour le monde que je vais laisser à mes petits-enfants. C’est pour eux qu’il faut se battre aujourd’hui.

Jean-Michel d'Oultremont, CEO de Caramel Publishing avec l'un de ses petits-enfants, source de la volonté de l'éditeur à obtenir la difficile certification B Corp © DR

– Comment s’attaque-t-on à cette certification ?
Avec beaucoup de peine (rires). On reçoit un questionnaire de précisément 200 questions dans un tableau Excel… Chaque question, selon une pondération savante mais claire, rapporte plus ou moins de points. Il faut atteindre 80 points pour obtenir la certification finale. Cela parait simple mais quand on découvre le questionnaire pour la première fois, c’est la douche froide, on est anéanti. On pense ne jamais y arriver. L’examen couvre toutes les facettes du fonctionnement de l’entreprise (staff, gestion du personnel, management, bien être au travail) mais aussi de ses fournisseurs et clients. Et surtout, il faut apporter des preuves concrètes et tangibles à chaque réponse. C’est un peu décourageant, soyons franc. Mais nous n’avons pas abandonné pour autant, nous voulions vraiment obtenir cette certification. Alors nous nous sommes fait aider par une équipe de Junior Consulting Louvain et ça nous a sauvé la vie. Ils nous ont aidé à prioriser les chantiers qui se dressaient devant nous pour obtenir les fameux 80 points nécessaires à la certification.

– Qu’est-ce qui fut le plus difficile ?
En vérité, ce fut un chemin de croix de 18 mois. Heureusement pour nous, nos engagements précédents nous permettaient déjà de répondre à une bonne partie des exigences de B Corp. Mais nous sommes une petite équipe, une petite structure, et aucune de ces politiques, de ces efforts, n’étaient jamais formalisés, mis par écrit nul part. Et pourtant, il nous fallait tout prouver, tout expliquer, tout décortiquer. Seulement, nous n’avons pas à proprement parler de département juridique pour cela. Alors, nous avons dû tout revoir, ou presque. Ce fut un travail de Titans.

– Comment savoir si, pendant le processus, on évolue dans le bon sens ?
B Corp a un simulateur qui permet d’avoir une idée du chemin qu’il reste à parcourir. On peut alors voir le score de l’entreprise évoluer. Après trois mois de travail, nous étions déjà à 45 points. C’était très encourageant. Nous sommes finalement arrivés jusqu’à masquer 85 points, virtuellement. Vient alors le moment de passer l’examen réellement. B Corp vous bombarde alors de questions et le score évolue. Nous sommes descendus à 76 points… on voit la certification pour laquelle nous avions tant bosser, nous filer entre les doigts… alors on continue de travailler, on trouve des endroits où regagner des points, et le score évolue sans arrêt, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse… Arrive enfin l’épreuve finale : un grand oral… au bout de celui-ci, il nous manquait encore quatre points sur les 80 nécessaires. Heureusement, l’examinateur s’est montré compréhensif et nous a indiqué les endroits qui nous pénalisaient. Nous avons encore pu revoir notre copie. Lors de notre seconde et dernière interview, nous avons finalement terminé avec 84 points et la certification.

Les résultats détaillés de toutes les entreprises certifiées sont disponibles sur le site de B Corp, dans la plus grande transparence © B Corp

– Cela a dû être une grande satisfaction.
En effet ! Cela venait récompenser des mois de travail acharnés. Mais, je pense que ce n’est que le début, le point de départ. Nous allons voir si nous parvenons à emmener nos partenaires dans notre sillage. Je crois sincèrement que le premier qui met le pied dans la porte la tient ouverte pour les suivants. Nous nous sommes installés à RTL House. Un environnement fabuleux, mais surprenamment assez peu en avance en termes de performance énergétique ou écologique. Même si nous ne sommes pas propriétaire et donc responsable du bâtiment, aux yeux de B Corp, nous devions assumer notre choix de nous installer ici. Puisque dans le cadre de la certification nous avons dû poser pas mal de questions à RTL à propos de l’immeuble, nous avons piqué à vif l’intérêt des responsables. Ils m’ont dit réfléchir sérieusement à la possibilité de devenir eux-même B Corp. C’est évidemment très réjouissant. D’autant plus que, à la fin, se plier à cette discipline intransigeante devient presque ludique et donne envie de toujours faire mieux. Se mettre dans cette dynamique professionnelle à une influence positive sur tous les aspects de votre vie. Depuis que je travaille à notre certification, j’essaie de venir, dès que la météo le permet, au bureau en vélo ! Mais attention, nous nous défendons et faisons très attention à n’avoir aucune posture moraliste. Notre propos est simplement de dire que si, avec une petite équipe et peu de moyens, on peut y arriver, alors, tout le monde peut le faire.

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