Corinne Le Brun
12 February 2020
Stéphane Demoustier fait de ce film procès un huis-clos angoissant, un thriller palpitant, proposant au spectateur de vivre un combat judiciaire, comme le ferait un juré. Anaïs Demoustier, dont le visage demeure juvénile - elle a la petite trentaine - y tient un rôle d'avocat général totalement inédit dans sa filmographie. Elle tourne aussi pour la première fois sous la direction de son frère. Avec près de soixante rôles au compteur, la jeune actrice sait (et veut ?) tout jouer.
Eventail.be - Pourquoi avez-vous avez été séduite par le scénario et le rôle d'avocat général ?
Anaïs Demoustier - D'abord parce que c'était mon frère. Il a écrit un scénario intéressant sur les frictions au sein d'un procès et en même temps sur le jaillissement des relations au sein d'une famille. Le film traite de plein de sujets. Il m'a convaincue de jouer un personnage que je n'avais jamais interprété avant. Une femme rigide, sévère, assez virulente dans sa fonction, qui en fait même un peu trop. J'avais un texte long à interpréter ce qui est assez rare au cinéma. Il me fallait parler fort dans un langage juridique et un jargon que je ne connaissais pas. Mon personnage doit être convaincant. Porter la robe d'avocat général, symbole d'autorité, procure un double jeu d'acteur. Il y a beaucoup de similitude entre le métier d'acteur et celui d'avocat. J'avais déjà eu un petit rôle d'avocate dans un film À trois on y va (2015). J'avais très envie de réitérer cette expérience. C'est très galvanisant quand la parole a un tel poids.
Stéphane et Anaïs Demoustier © Giancarlo Gorassini/BestImage/Bestimage/Photo News |
- Vous êtes une jeune procureure face à l'avocate de l'accusée, d'âge mûr. Ce n'est pas anodin...
- Mon frère, très subtil dans ses choix, a voulu traiter des conflits de générations. L'ironie du sort c'est que c'est moi, la plus jeune, qui accable le plus la jeune accusée, qui tiens des propos moralisateurs presque réactionnaires. L'avocate de l'accusée, la soixantaine, a une forme de sagesse, de plus grande compréhension. Sans faire une caricature des jeunes contre les vieux, le film montre aussi combien le métier d'avocat et de magistrat est dur. Vous devez faire votre place dans un monde judiciaire masculin et concurrentiel. Les jeunes procureurs, en ce moment, sont davantage formatés, un peu comme mon personnage qui a besoin de compenser sa jeunesse en faisant du zèle au mauvais endroit parce qu'elle a peur de ne pas être reconnue.
© DR |
- Comment avez-vous préparé le (long) texte du réquisitoire?
- Je me suis laissé bercer par la musique de ce texte pour en trouver le ton. On est allés au tribunal. Le ton des procès est très étrange, n'appartenant ni à la réalité ni complètement au théâtre. En même temps, il y a aussi de l'émotion. Tout cela créée une musique très spécifique qui mélange de la rigueur, de la droiture. Mon personnage utilise les mots comme une arme, un peu comme les intellos choisissent un mot et pas un autre. Ce qui m'intéressait et m'amusait c'était le moment où l'émotion de ce personnage allait advenir. Le texte était mon premier support. Les figurants, très nombreux, n'avaient pas lu le scénario. Ils étaient de vrais interlocuteurs pour moi.
© DR |
- Des parents connaissent peu leurs enfants. Comment expliquez-vous cela, aujourd'hui ?
- Cela a été comme ça de tout temps. Aujourd'hui, je pense que les réseaux sociaux éloignent encore plus les enfants des parents. Les jeunes utilisent des nouvelles pratiques de communication virtuelle qui échappent encore plus aux parent car ils ne sont pas dans cet univers-là encore. Cet univers crée un mystère supplémentaire parce qu'il y a des fuites qui montrent des choses que peut-être on ne voyait pas avant. On savait que le procès était un cadre pour parler avant tout de la famille : jusqu'où on peut aimer, comment on connaît nos enfants, découvrir choses insoupçonnées sur leur vie réelle. La fille au bracelet raconte aussi cet étranger qui est notre enfant, cette vraie altérité. Nos enfants ne sont pas nos doubles. Ils sont des êtres humains à part entière.
- Melissa Guers dans le rôle de l'accusée, fait son entrée au cinéma...
- Je l'observais de loin, je ne voulais pas la déconcentrer. Elle était dans une sorte de bulle pour ce rôle. Je l'ai vue devenir petit à petit actrice. C'était très beau à voir. Elle a le silence habité, une sauvagerie, une animalité magnifique. Cela m'a rappelé mes débuts au cinéma (La nuit du loup de Michaël Haneke, 2002, ndlr). La première qu'on tourne est une sorte de choc, pas seulement devant la caméra. On découvre aussi l'immersion que représente un tournage, on fait beaucoup de rencontres.
- Vous êtes dirigée par votre frère avec qui vous partagez une grande complicité. Comment garder la distance sur le plateau ?
- Nos rapports se sont très vite équilibrés. Tout était très fluide même si j'avais très peur de le décevoir. Mon frère a l'habitude de diriger les acteurs comme un sportif, avec des mots très droits, très directs. J'ai adoré. Ce fut un plaisir d'être ensemble sur le plateau.
- Vous aimeriez incarner Françoise Hardy à l'écran. Où en est le projet ?
- J'avais suggéré l'idée à François Ozon. On ne va pas le faire parce qu'il n'aime pas les biopics. C'est le seul réalisateur auquel j'ai pensé. Peut-être y en-a-t-il d'autres...
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