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Autopsie d’« Un silence »

CinémaFilmInterviewJoachim Lafosse

Corinne Le Brun

24 January 2024

Dans son dernier film (en salles aujourd’hui), Joachim Lafosse décrit avec beaucoup de sobriété le poids du déni dans une famille. À l’heure de la libération de la parole post-MeToo, le réalisateur livre “Un silence” percutant. Rencontre.

Un silence ronge depuis trente ans Astrid (Emmanuelle Devos), mère de famille et épouse de François, un avocat médiatique et manipulateur (Daniel Auteuil). Joachim Lafosse revient sur l’affaire Victor Hissel, l’avocat des parents de Julie et Melissa, condamné pour détention d’images pédopornographiques. Le cinéaste scrute les tourments d’Astrid. Pourquoi reste-t-elle silencieuse ? Par honte ? Par déni ?

Eventail.be – Vous vous inspirez d’un fait réel. En quoi cette démarche est importante pour vous ?
Joachim Lafosse – Avant tout, comme citoyen, je m’informe, je lis la presse, Les journalistes rapportent les faits. Un récit émerge. Et ce récit, il peut m’émouvoir. Ce qui m’a touché et m’a donné envie d’écrire Un silence, c’est l’émotion que j’ai pu avoir pour ce jeune adulte, le fils du couple, qui a traversé et vécu ce drame. J’ai essayé de faire voir comment cela me touchait. Mais après, je suis cinéaste. La vérité de l’affaire Hissel, je n’en sais trop rien. Mon travail consiste à écrire de la fiction qui n’est pas le réel. C’est aussi écrire des personnages, ce que le journaliste ne fait pas. Un film n’est jamais la vérité. Le cinéma, c’est toujours une fabrication, une élaboration. Un silence est le fruit de mon imagination. J’espère qu’il contient des vérités, de la justesse, de la cohérence.

Emmanuelle Devos et Joachim Lafosse © Pascal Fayolle/Bestimage

– Comment expliquez-vous le silence d’Astrid ?
Astrid m’a beaucoup ému. Parce que ce que j’avais envie d’arriver à mettre en empathie le public. Non, pas avec le bourreau mais avec cette femme, malgré la gravité de son silence. Et d’essayer, ensemble, de réfléchir sur ce qui pousse quelqu’un, une mère, à être dans le déni. Cela pourrait être un père, d’ailleurs. Pour moi, ce qui amène à ce silence, c’est la honte, la culpabilité, la peur de perdre.

© Kris Dewitte

– Justement, selon vous, à quoi ressemble ce sentiment de honte ?
Je ne dirai pas ce que je pense de mon film. Par ailleurs, le cinéaste et le public font un film à deux. Chaque spectateur écrit un récit singulier. En l’occurrence, la honte qu’il va associer au personnage d’Astrid, ne sera pas celle qu’un autre spectateur va ressentir. En fait, je me suis rendu compte que les gens qui n’avaient pas pu m’aider ou voir ce qui se passait à l’époque, dans ce que je racontais dans Elève libre (2008), eux aussi ont eu honte. C’est l’une des autres raisons pour lesquelles j’ai écrit Un silence et mon travail sur Astrid. Il m’importait de raconter le venin du crime et prendre le point de vue de l’entourage du criminel.

© DR

– Daniel Auteuil et Emmanuelle avaient déjà partagé l’affiche de «L’Adversaire» (1). Comment avez-vous réussi à les convaincre ?
J’ai tout de suite pensé à Emmanuelle Devos parce qu’elle incarne bien cette bourgeoisie provinciale. Elle est une actrice extrêmement intelligente, travailleuse, ce qui correspond au genre d’acteurs et actrices avec qui j’aime travailler. Beaucoup d’acteurs ont refusé de jouer l’avocat. Je trouve que Daniel a été très courageux d’accepter le rôle. Ce qu’il le préoccupait le plus avant d’arriver à trouver la nuance de son personnage, c’était la capacité qu’on allait réussir tous ensemble à créer une possible empathie entre le public et ce grave silence d’Astrid. Il avait plus de soucis de cela que d’inquiétudes par rapport à ce qu’on allait penser de son personnage. Cela raconte quelque chose de la morale de Daniel Auteuil.

– La maison est un personnage à part entière
Elle est le lieu de la famille, en l’occurrence d’une famille bourgeoise de province dont le père est un homme médiatique. Pour Un silence, j’ai aimé revoir les films de Claude Chabrol. On a tourné avec la Dolly. Ce support de caméra sur roues qui permet d’avoir une grande précision de cadrage donne l’esthétique particulière au film. Je ne voulais pas être spectaculaire ou sexy avec un sujet comme celui-là. Le silence est une affaire de son. Mis en image, il est l’ombre. On a travaillé à la fois avec une lumière extérieure que l’avocat va chercher et, en même temps, quand il est dans la maison, il se planque continuellement.

– Plusieurs scènes du film montrent la famille encerclée par les journalistes
Effectivement, je les montre plusieurs fois. L’avocat essaie aussi de les manipuler. Quelque part, je voulais aussi montrer l’importance citoyenne de soutenir les médias. Grâce à eux, on se rend compte à quel point l’avocat était du côté de la perversion. Il sourit, il séduit…. Il porte le masque du perverti. La perversion est la logique défensive la plus destructrice, pour le pervers et pour les autres. Elle est aussi la pathologie qu’on soigne le plus difficilement.

(1) : Réalisé par Nicole Garcia, en 2002.

Photo de couverture : © Kris Dewitte

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Informations supplémentaires

Film

Un silence

Réalisation

Joachim Lafosse

Distribution

Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Matthieu Galoux, Jeanne Cherhal

Sortie

En salles

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