Corinne Le Brun
02 November 2022
Adrien (Pierre Niney) un jeune et beau danseur voit sa carrière brisée par un accident de moto. Il se console avec une nouvelle vocation de gigolo sur la Côte d’Azur. Entretenu par Martha (Isabelle Adjani), une gloire vieillissante du cinéma, il rencontre Margot (Marine Vacth), une mystérieuse et séduisante arnaqueuse qui a jeté son dévolu sur un riche agent immobilier (François Cluzet). Désireux de changer de vie, Adrien et Margot vont élaborer une mascarade sentimentale faite de manipulations amoureuses. Une partition machiavélique ou les faux-semblants sont rois… Présentée hors compétition au 75e Festival de Cannes cette année, Mascarade, comédie noire et baroque, réunit un casting cinq étoiles. Rencontre avec les excellents François Cluzet et Marine Vacth (1) sur la Croisette.
Eventail.be – Vous incarnez Simon, un agent immobilier irascible. La colère vous attire à l’écran?
François Cluzet – Pour moi, ces personnages qui sont très énervés sont un avantage car ils sont ridicules. Ce que j’aime avant tout, c’est être ridicule parce que cela enlève les mots. Et dans la comédie, comme dans Les petits mouchoirs (de Guillaume Canet, 2010), cela ne rend quand même pas antipathique le personnage, et on a plus envie de rire de lui. On ne comprend pas trop pourquoi il se met dans cet état obsessionnel, maniaque… cela m’amuse beaucoup. J’ai fait d’autres films où je suis plutôt calme, Mascarade par exemple.
– En effet, vous êtes colérique et sentimental…
F.C. – Quelques fois, il y a des scènes où il faut se mettre en colère. Même chose avec Marine. On joue la partition, plus ou moins bien. Mais au contraire, je pense que c’est un des rôles où je suis tendre, parce que amoureux de Margot que joue Marine. À ce moment-là, je suis tout doux comme je peux l’être dans la vie. Le bénéfice de l’âge fait qu’on se calme. Je n’ai jamais été très nerveux. Révolté, indigné, oui.
– Vous êtes une jeune actrice. Qu’avez-vous appris aux côtés de François Cluzet?
Marine Vacth – Par exemple, avec François, j’ai compris que je pouvais fabriquer du vrai à partir du faux, par rapport au rire dans quelques scènes du film.
F.C. – Ce qui comptait, c’était de croire à l’histoire qui nous avait été écrite. Je crois que l’on a été l’un pour l’autre des partenaires généreux comme on se doit de l’être. Ce que l’on se donne au-delà du personnage compte beaucoup. Ensuite, le vrai mène au faux et le faux mène au vrai. Si vous avez la chance d’avoir quelqu’un qui, à la première prise est vrai, à la dixième, il sera dans la maîtrise qui dit déjà faux. Alors, pour trouver la vérité c’est très difficile. C’est comme se jeter d’un pont. Ainsi, on a trouvé ensemble « faisons semblant de rire » et cela va nous faire nous rire tous les deux. Et cela a marché. Peu importe le chemin, ce qu’il faut c’est donner quelque chose de spontané et souvent la vérité est indépendante de notre volonté. La vérité est organique, elle doit sortir de nous, après l’abandon. Mais comment s’abandonner dans des scènes très complexes ? À force de faire semblant, cela nous échappe de le faire vraiment. On s’est amusé à trouver cette chose entre nous, cela fait partie de notre complicité pour trouver la vérité de cette histoire d’amour. J’étais content tout le temps. L’agent immobilier que j’incarne, il fond, il craque, il abandonne tout. Cette femme, c’est la femme rêvée qu’il aurait pu avoir à 25 ans, qu’il n’a pas eue. Il oublie qu’il en a presque trois fois plus parce que cela lui redonne une jeunesse, une envie de vivre. Je crois beaucoup à la complicité des acteurs au-delà des rôles, humainement. C’est ce qui compte le plus pour moi. On peut avoir la meilleure actrice, le meilleur acteur, s’il n’y a pas de générosité en plus, il n’y a pas d’échange, pas de rencontre. La rencontre, c’est être meilleur grâce au partenaire. J’ai été meilleur avec Marine qu’avec quelqu’un d’autre. C’est dans ses yeux que je trouve la vérité et j’avais envie que ce soit pareil pour elle. Je trouve assez beau leur histoire. Nous exerçons un métier de cœur. Jouer c’est donner quelque chose. Je ne crois pas aux acteurs qui sont infects et qui sont généreux à “action”. Je crois que c’est un état d’âme, soit on est généreux, soit on ne l’est pas. Ensuite, si vous retrouvez un partenaire qui n’a aucune générosité ni même aucune attention, vous n’avez pas trop envie de jouer avec lui. C’est un tout. Ce qui intéresse le metteur en scène c’est la qualité de l’échange. Ce n’est ni Marine ni moi, séparément. Marine commençait une scène, généreuse, moi aussi j’essayais de lui renvoyer la balle.
– Comment voyez-vous le personnage de Margot… qui vous ressemble?
M. V. – Je ne sais pas si Margot me ressemble. J’ai fabriqué le personnage sur le tournage, sur le tas, avec mes partenaires et avec Nicolas. Son engagement est total. Il y a urgence en lui. C’est comme si chaque moment était le dernier. Les situations, les dialogues sont établis et une fois la mise en place faite, tout l’espace est pour les acteurs. Il y tient beaucoup. C’est nécessaire même.
F.C. – C’est la meilleure de faire. Quand je débutais, j’imaginais, la scène, le décor, la situation. Mais ce n’est jamais tout à fait ce que l’on pensait. Notre métier, c’est la spontanéité.
L'équipe de Mascarade à Cannes © Dominique Jacovides/Bestimage
– Comment avez-vous préparé votre rôle ?
M.V. – La préparation que j’ai eue était pour l’accent anglais quand je parle français. Sinon, j’ai travaillé avec une coach anglaise qui m’a aidée à aller sur le bon chemin. Je n’ai pas vraiment préparé chaque scène.
F.C. – J’aime beaucoup travailler en amont, sur la mémoire du texte, sur la psychologie de tous les personnages. Je viens du théâtre et c’est mon grand plaisir de préparer. Si je ne travaillais pas comme ça, je serais complètement perdu. Quand je suis tout seul, je suis peinard, personne ne me regarde, j’arrive à travailler ainsi. Même si, pour finir, je ne me sers d’absolument rien de ce que j’ai préparé. Tout est nouveau au moment où on tourne. C’est l’instant qui compte. Après, c’est chacun sa nature. Comme j’ai fait beaucoup de théâtre, je trouve des relations avec les pièces. Ce film ressemble comme deux gouttes d’eau à une pièce de théâtre La double inconstance que j’ai jouée. Marivaux, c’est terriblement cruel. Et Mascarade l’est. Les personnages sont à la fois des bourreaux et des victimes. Chez Marivaux, les personnages se mentent. L’expérience fait qu’on repioche dans une pièce ou un film qu’on a déjà joués. J’aime ça.
(1) : Révélée dans le film «Jeune et Jolie» de François Ozon (2013).
Titre
Masacarde
Réalisation
Nicolas Bedos
Distribution
Pierre Niney, Isabelle Adjani, François Cluzet et Marine Vacth
Sortie
En salles
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