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Quentin Dupieux, « Le daim » à la folie

Corinne Le Brun

19 June 2019

© DR

On connaît ses comédies décapantes : Wrong, la série Wrong Cops et Rubber réalisées à Hollywood. Suivies de comédies drolatiques made in France : Réalité et récemment Au poste avec notre Poelvoorde national. Avec Le Daim, Quentin Dupieux livre une nouvelle échappée délirante.

C'est l'histoire de Georges, 44 ans, qui plaque tout du jour au lendemain pour s'acheter le blouson 100% daim de ses rêves. Un achat qui lui coûte toutes ses économies et vire à l'obsession. Cette relation de possessivité et de jalousie finira par plonger Georges dans un délire criminel... Quel plaisir de se laisser mener par le bout du nez par un conteur-né comme Quentin Dupieux ! Sous sa direction, Jean Dujardin - qui avait reçu le prix de l'interprétation masculine pour The Artist, en 2011 - et Adèle Haenel étincellent dans leur inexorable marche vers la folie. Une comédie hilarante, grinçante souvent inquiétante où Quentin Dupieux glisse son éclectisme artistique: Pulp Fiction, Massacre à la tronçonneuse, la mélodie Et si tu n'existais pas de Joe Dassin. Projeté en ouverture de La Quinzaine des réalisateurs, Le Daim a fait un tabac au Festival de Cannes. Rencontre avec Quentin Dupieux sur la Croisette.

Eventail.be - Quel est le point de départ du film ?
Quentin Dupieux - Au départ, j'avais écrit ce film en anglais, il y a trois ans, à Los Angeles où j'ai vécu pendant de nombreuses années. Le but était de faire une comédie complètement grotesque et ridicule que j'avais écrite pour un ami, l'acteur américain Eric Wareheim. Un type grand, très fort, brûle tout son argent pour acheter une veste mais elle est trop petite pour lui. Ce concept initial était drôle mais sans doute pas suffisant pour en faire un film. C'est pourquoi ce projet était resté en l'état dans mon ordinateur. Quand je suis revenu à Paris, j'ai réalisé un nouveau film Au poste avec Benoît Poelvoorde. J'ai tellement aimé travaillé avec mes mots, ma culture. Travailler avec des acteurs français était formidable. J'ai beaucoup aimé travaillé à Hollywood mais c'était difficile pour moi d'exprimer réellement les sentiments. J'étais très souvent frustré. Après Au Poste, je me suis dit que je devais réécrire l'histoire de la veste en français. Pendant ce travail d'écriture je sentais que l'histoire prendrait une certaine profondeur, autour de l'idée de l'animal.

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- D'où vient le côté fétichiste de Georges, obsédé par sa veste en daim ?
- On imagine que ce type a une vie ennuyeuse. On ne sait rien de lui. Il va vers un endroit pour vivre autre chose. Il aurait pu aller dans un hôtel plus beau. Mais j'ai choisi un hôtel quelconque et isolé dans les montagnes. J'avais besoin de filmer un endroit que je ne connaissais pas. Je ne sais pas d'où vient le côté fétichiste de Georges. J'avais envie de filmer un fou plutôt que de faire un film fou. Je voulais traverser cette zone de psychiatrie. Georges se parle à travers la veste. Il veut être le seul à porter un blouson en daim. La fuite est un fantasme masculin assez important et l'obsession du mec seul dans sa chambre me fait beaucoup rire aussi. On se parle tous, tout seul à l'intérieur. Le personnage est sincère. Il n'a pas de plan de vie. Il est comme un enfant. Il est impitoyable. Les cinéastes sont comme ça.

- Selon quels critères avez-vous choisi Jean Dujardin et Adèle Haenel ?
- Poelvoorde aurait pu, mais il l'a déjà fait (rire). Le script est passé dans quelques mains très molles avant d'arriver dans celles de Jean. Il a presque dit oui avant de lire le scénario. La relation entre nous était facile. Il a plus d'expérience que moi. Il sait si c'est possible ou pas. Pour un film comme Le daim, vous devez jouer pour de bonnes raisons. C'est un film qu'on comprend immédiatement ou pas. J'avais envie de voir Adèle avec Jean. Elle a exigé d'être aussi folle que Georges. Elle a enlevé la séduction, elle est devenue folle dans les yeux. Elle n'a rien changé au scénario. J'ai la chance de travailler avec d'immenses comédiens. Pour ce genre de film, c'est essentiel.

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- On vous connaît aussi pour votre envie de faire un film dans le film
- C'est vrai. Pour être honnête, ce n'est pas ce que je préfère dans mes films. Je n'en suis pas très fier. C'était une façon de parler de moi. C'est une sorte de gimmick. Réalité avec Alain Chabat est un cinéaste qui essaie de faire un film, qui cherche des producteurs. Le film ennuyeux par excellence. J'en étais conscient mais je devais le faire. J'espère que cet aspect n'est pas trop présent dans Le daim. Cette fois, ce n'est pas un film dans le film. J'ai opté pour une mise en abyme. J'aimerais m'intéresser à autre chose qu'à ma caméra. Même si le personnage se met lui aussi à filmer. Dans ce film, je ne parle pas de moi aujourd'hui. Mais plutôt de ma jeunesse. Enfant, je filmais avec une caméra vidéo avec des copains dans la forêt pour faire un film d'horreur.

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-Les couleurs des images sont ternes. Pourquoi ce choix ?
- Pour moi, le digital tue le film, surtout en ligne. Les couleurs sont affreuses. La caméra capte quelque chose de trop précis. Un film doit rester flou. Les films en 35 mm sont pleins de charme parce qu'ils apportent un effet brumeux. On a des réalisateurs digitaux excellents mais la plupart ne savent pas comment utiliser la caméra digitale. C'est par ma femme (Joan Le Boru, direction artistique et décoration, ndlr) qu'on a décidé de faire un film dans les bruns, couleurs du bois et de l'animal. Je n'ai pas filmé en 35 mmm mais j'ai tordu l'aspect ultra précis du digital. En fait j'ai fait un peu du 35 mm avec du digital. Je voulais casser les couleurs digitales.

 
Le Daim
de Quentin Dupieux.
Avec Jean Dujardin, Adèle Haenel.
En salle depuis le 19 juin

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