L’idée de faire vieillir du vin dans des caves sous-marines puise ses racines dans l’archéologie depuis que des amphores de vin pleines, retrouvées dans des épaves datant de l’Antiquité, ont intrigué agréablement les chercheurs par la qualité gustative de leur contenant. Au XVIIIe siècle, la complexité et la singularité des vins ayant passé du temps dans la cale de navires avait déjà suscité un engouement tel que, sur certaines étiquettes de bouteilles de vins, il n’était pas rare de voir indiquer la mention “retour des Indes” !
Plus près de nous, en 2014, la maison Veuve Clicquot a enfoui 350 flacons par 42 mètres de fond en mer Baltique, tandis qu’en 2017, des vignerons de l’AOC Bandol ont immergé 120 bouteilles à 40 mètres de profondeur, en Méditerranée, pendant douze mois. Pour ces vignerons du sud, l’intérêt de l’élevage du vin sous l’eau résidait dans la possibilité de préserver l’acidité du breuvage.
Est-ce à dire que les profondeurs marines offrent des conditions optimales pour le vieillissement ? La réponse est oui, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la température sous l’eau est stable. Oscillant généralement entre 10° et 15°C, elle est un facteur clé pour ralentir le vieillissement et préserver les arômes du vin. Ensuite, l’obscurité : totale, elle protège les bouteilles des rayons ultraviolets, évitant ainsi la dégradation des composés phénoliques. Quant à la pression hydrostatique – sensible aux changements de marées – elle peut atteindre plusieurs bars, selon la profondeur, s’inscrivant dans un écosystème qui semble influencer subtilement l’évolution des jus de treille. Le métabolisme de la levure se trouve modifié en milieu marin par rapport aux conditions terrestres. La pression, l’agitation et les conditions thermiques influencent ainsi le fonctionnement des levures qui produisent dès lors une série d’arômes différents.
Mais le vieillissement sous l’eau ne présente pas que des avantages techniques. Les dégustateurs sont unanimes : ce procédé influence également le profil sensoriel des vins. Pour en avoir goûté, il nous apparaît que les vins vieillis en immersion présentent une texture plus soyeuse, ainsi qu’une meilleure intégration des tanins. Ils offrent également des arômes plus complexes que ceux qui sont restés en cave, car sous l’eau un vin vieillit beaucoup plus vite. Un an en mer équivaut environ à trois années passées en cave. La fermentation océanique offre des arômes que l’on ne peut retrouver lors d’une fermentation classique.
Cette technique immersive semble bonifier l’ensemble des vins, mais les effervescents – comme le champagne – bénéficient plus particulièrement de ce procédé en y gagnant en finesse et en élégance. D’un point de vue financier, ce procédé ajoute une réelle valeur aux bouteilles : les cuvées immergées sont souvent proposées en édition limitée, avec un packaging spécifique et un storytelling puissant, donc un prix majoré.
Cependant, le vieillissement sous l’eau soulève des questions éthiques et environnementales. L’impact potentiel de ces installations sur les écosystèmes marins est étudié de près et les producteurs doivent obtenir des autorisations strictes avant de procéder à une immersion. Cette idée – saugrenue pour certains, expérimentale pour d’autres, enthousiasmante pour beaucoup – dispose même de son brevet, déposé en 2007 et intitulé “Vin sous la mer”.
La vinification sous-marine a été créée par un ingénieur agronome et œnologue, Emmanuel Poirmeur. Ce pionnier, qui commercialise ses vins sous le nom d’Egiategia (“l’atelier des vérités” en basque), a choisi d’immerger ses vins à Saint-Jean-de-Luz. N’imaginez pas que l’on jette les bouteilles à la mer… L’immersion des cuves à 15 mètres de profondeur nécessite en amont un travail titanesque au regard de la descente qui, elle-même, ne dure qu’une dizaine de minutes. Mis à part la présence d’une équipe soudée de marins et des moyens techniques impressionnants (7 tonnes sont à manipuler) afin de positionner les cuves en toute sécurité, il faut faire appel à un robot sous-marin pour détecter un endroit suffisamment plat, sans quoi le stockage sous-marin ne sera pas optimal.
Avant l’immersion, le viticulteur se doit de rajouter un mélange de sucre et de levure dans le vin rouge pour favoriser cette fermentation. La même technique est appliquée au champagne. Depuis plus de vingt ans, les producteurs qui immergent des vins, des whiskys et des champagnes explorent des méthodes de vieillissement alternatives, tout en cherchant à enrichir la complexité et la singularité des vins ainsi produits. Les vignerons rivalisent d’originalité, recherchant de nouvelles zones de vieillissement, comme les lacs alpins ou les rivières, dans le but de bénéficier, lors de l’élevage, du mouvement naturel des courants. Après avoir mis des bouteilles dans des caisses métalliques à des profondeurs variant entre 10 et 90 mètres, la durée d’élevage sera de 2 à 24 mois. La micro-oxygénation qui survient lors de l’élevage d’un vin en barrique ne se produit évidemment pas ici et les flacons doivent être scellés par un bouchon de cire pour protéger leur contenu.
Dans la baie de Morlaix, en Bretagne, le propriétaire du Vin d’O, Ludovic Le Gall (un ex-scaphandrier !), pionnier de l’immersion des vins, mène des expériences qui restent encore assez confidentielles. Cependant, elles intéressent de nombreux vignerons, car le procédé ne se résume pas à une simple curiosité technique. Il illustre l’esprit d’innovation qui anime le monde viticole, tout en nous invitant à repenser notre rapport au temps…
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