La jeune Agata (Céleste Cescutti) perd sa fille à la naissance. « Les bébés mort-nés ne peuvent pas être baptisés. C’est la règle ». L’âme de la petite créature est condamnée aux limbes, sans prénom et sans paix. Agata ne se résigne pas à l’idée que « ton corps va l’oublier, et ton cœur aussi ». Elle décide de croire la rumeur selon laquelle dans les montagnes du nord il y a un endroit où l’on ramène à la vie les bébés mort-nés, d’un souffle, le temps nécessaire pour les baptiser. «Piccolo Corpo est un merveilleux conte de fées noir, qui s’inspire des traditions religieuses populaires du début du XXe siècle, en Italie. C’est la première réalisation de Laura Samani. La cinéaste italienne nous invite à partager un périple envoûtant aux confins du fantastique. Piccolo Corpo offre une vision philosophique, lumineuse sur l’amour indestructible d’une mère pour son enfant. Rencontre avec la réalisatrice Laura Samani.
Eventail.be – Que signifient les limbes dans la religion catholique?
Laura Samani – Le limbus puerorum reçoit les âmes des enfants morts avant d’avoir reçu le baptême. Les âmes n’encourent pas les souffrances de l’enfer mais sont privées de la béatitude du paradis. Les limbes étaient une sorte de salle d’attente, avant le Jugement dernier. L’existence des limbes s’est ébauchée au IVe siècle, avec saint Augustin. Les mères étaient désespérées de perdre un enfant en bas âge sans avoir le réconfort de le savoir au paradis. Un décret de l’Église, signé Benoît XVI, du 20 avril 2007, a décidé de supprimer les limbes. C’est une bonne nouvelle. Toutefois, malgré le recul de la mortalité infantile, le sujet reste d’une actualité brûlante pour l’Église catholique, confrontée à la pratique de l’avortement et à la baisse constante du nombre de baptêmes d’enfants.
– Pourquoi le titre Piccolo Corpo» ?
– Il figurait dans le script. Puis, nous l’avons oublié. Quelqu’un dit à Agata : « Le bébé est juste un petit corps maintenant ». Ces mots-là la tiennent debout. Et lui permettent de faire le voyage vers la montagne.
© DR
– Comment avez-vous découvert le sanctuaire ?
– J’ai appris, par un vieil homme, que ce sanctuaire existe dans la région du Frioul où j’ai grandi. Il m’a parlé de ces miracles. J’y suis allée. J’ai senti quelques vibrations. J’ai plongé dans les archives. Et je savais que je devais faire quelque chose sur ces miracles. Ce qui était clair pour moi, dès le début, c’est que je voulais raconter cette histoire du point de vue de la mère. Parce que, d’autres documents montrent que ce sont des hommes qui se rendaient sur ces sanctuaires. Cela fait sens parce que la mère, après avoir accouché, est épuisée physiquement et émotionnellement. Je me suis dit et si c’était Agata qui décidait d’entreprendre seule le voyage ? J’aime toujours ce qui entoure l’Histoire, particulièrement les aspects émotionnels dont on ne parle pas.
– Comment avez-vous choisi l’actrice principale ?
– Celeste Cescutti est venue à un casting. Je ne lui avais pas dit que je cherchais une actrice pour le rôle principal, mais simplement des jeunes filles entre 18 et 25 ans, sans expérience. C’était une bonne idée parce que Celeste nous a dit qu’elle se présentait comme figurante. Si elle avait su que je cherchais une jeune fille pour le rôle de la mère elle ne serait jamais venue. Elle est très pudique. Elle était l’opposé de ce que je recherchais. Je voulais une personne petite, fragile. Celeste est grande, très forte physiquement et mentalement. Elle n’est pas du tout angoissée. Elle est très calme. Elle porte en elle beaucoup de dignité. Puis, elle m’a dit qu’elle aime le personnage.
© DR
– Ondina Quadri est, par contre, une comédienne professionnelle…
– Elle est une très bonne actrice. Nous avons créé un deuxième personnage, Lynx. Il était très éloigné de ce qu’il était au début. Il change constamment d’apparence. Il se présente comme un homme puis comme un animal. Il a une identité plurielle. Il vit caché, dans la forêt. Il se dérobe. Il est libre. C’est une sorte de camouflage où il dit qui il veut être dans le monde. Cela résonne naturellement avec le Mouvement #MeToo, avec des sujets politiques qui nous importaient. Ondina m’a été recommandée par un ami qui la connaissait très bien. Jamais, je n’aurais osé lui demander de jouer dans mon film. Elle est de Rome et moi du Nord-Est. Huit mois plus tard, j’ai rencontré Ondina, nous avons déjeuné ensemble. Après 5 minutes, je me suis dit, c’est elle.
– Les protagonistes parlent un dialecte. De quelle région?
– En faisant des repérages, j’ai rencontré des gens qui sont devenus des personnages du film. Tous sont interprétés par des débutants, parfois des familles entières, sans aucune expérience cinématographique. Voilà pourquoi j’ai donc décidé de filmer dans les dialectes frioulan et vénète pour respecter la langue authentique de l’époque. Il y a aussi une raison politique. En 1901, les Italiens ne parlaient pas italien. Nous avons eu une italianisation importante et lourde depuis 1861. C’était sanglant. Il était interdit de parler les dialectes. Tous les gens que j’ai rencontrés m’ont dit avoir honte de parler leur langue régionale. Nous avons hérité de cette honte, qui s’est poursuivie sous le fascisme, parce que plupart des parents et grands-parents ont cessé de parler en dialecte comme étant le signe de ne pas être suffisamment cultivé. Cela m’interpelle. Toute seule, je ne peux pas changer les choses. Mais j’ai privilégié la langue régionale pour des raisons philologiques et politiques. Je voulais des gens qui puissent s’exprimer aussi naturellement que possible, avec fierté, dans leur dialecte. Il m’a fallu traduire en italien. Mon dialecte est proche de celui de Celeste mais je ne le parle pas. Ondina parle de dialecte de Pier Paolo Pasolini.
Le soleil se couche sur les champs du Frioul-Vénétie-Julienne où a été tourné Piccolo Corpo
– Où avez-vous tourné?
– Nous avons tourné pendant six semaines dans ma région, le Frioul-Vénétie Julienne au Nord-Est de l’Italie. Le tournage a suivi, quasiment en temps réel, le même parcours que les protagonistes, depuis la côte jusqu’à la montagne. Presque tout se passe à l’extérieur, avec les aléas de la météo. Il pleut, il neige vraiment dans le film.
– Quel est votre regard sur la religion catholique ?
– J’ai grandi dans la religion catholique comme la plupart des Italiens. Je suis croyante mais pas pratiquante. Je crois à une autre vie possible.
Film
Piccolo Corpo
De
Laura Samani
Avec
Celeste Cescutti, Ondina Quadri
Sortie
27 juillet 20222
Publicité