Stéphanie Dulout
24 January 2022
Vandalisme esthétique ? Subversion de l’image ? Outrage à la beauté plastique ?… Si le travail de sape de l’image – déformée, ravagée, renversée – mis en œuvre dans la peinture de Georg Baselitz, dès ses débuts en 1960, participe d’une volonté, assumée, de choquer et de provoquer, il procède avant tout d’une volonté de faire table rase de la représentation, de l’imagerie du passé. De même que les bombardements avaient rasé et consumé dans les flammes, sous ses yeux d’enfant, sa ville de Dresde, il fallait dé-figurer l’image, faire disparaître sa vile, et désormais obsolète, fonction représentative, en la saccageant ; par son anéantissement, la conduire à renaître de ses cendres pour être autre, davantage qu’une image, qu’un simple motif (corps, visage ou paysage…).
Georg Baselitz, Wagon-lit mit Eisenbett,2019 © Georg Baselitz, 2021 Photo Jochen Littkemann, Berlin
C’est ainsi, non par la voie de l’abstraction choisie par bien d’autres peintres de l’après-guerre, mais par celle de la défiguration, que Baselitz a voulu conduire l’image (peinte ou sculptée) à une sorte de surpassement d’elle-même. Dans cette quête de dépassement, il a expérimenté différentes techniques picturales. C’est ce que permet magnifiquement de voir la gigantesque rétrospective du Centre Pompidou. Des “corps-stigmates” de la première grande série des Héros aux visages tuméfiés et aux chairs gangrenées aux “bad paintings” parodiant la perfection raphaélesque et toute la belleza de la Renaissance italienne, bafouant la matière picturale et malmenant la perspective jusqu’à faire basculer les corps dans un vertigineux vortex…
“Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre ; j’avais vu assez de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être ‘naïf’, de repartir de zéro.”, déclarait le peintre dans un entretien (1).
À l’instar de certaines œuvres tardives de Cézanne où le reflet du motif dans la flaque est plus dense que le motif lui-même, ses paysages et ses personnages sens dessus-dessous acquièrent une densité et une intensité croissantes au fil des ans. Ainsi de la poignante série dédiée à sa femme, Elke, dont on voit la silhouette cadavérique, démultipliée, léviter sur des fonds noirs, blancs, roses ou or ; ou de ses toutes dernières toiles ensevelissant l’image sous de grands pans abstraits…
Destinée à “abstraire l’image de sa fonction figurante” (en affirmant “le primat de la peinture sur le sujet”), à “saper les modèles” (“des siècles d’images canoniques…”), à “[bousculer] notre perception”…, l’”image retournée” de ces corps suspendus en fait de véritables “dramaturgies” (2).
(1)Georg Baselitz, entretien avec D. Kuspit, Goth to Dance, repris en français dans : G. Baselitz, Danse gothique. Écrits et entretiens, 1961–2019, Édition établie par Detlev Gretenkort, traduit par Régis Quatresous, Strasbourg, L’Atelier contemporain, septembre 2020.
(2)Citations extraites de la conférence de presse (18 octobre 2020) de Bernard Blistène, commissaire de l’exposition.
Exposition
Georg Baselitz, la rétrospective
Dates
Jusqu’ai 07.03
Adresse
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Sur internet
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