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Le livre-enquête de Christine Ockrent sur Mohammed ben Salman

Corinne Le Brun

26 October 2018

© DR

L'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul lève un voile de plus sur la face noire de Mohammed ben Salmane (MBS), le « prince mystère de l'Arabie ». Rencontre avec l'auteur et journaliste belge, à Bruxelles.

Eventail.be  - Nous avons tous été dupés par MBS ?
Christine Okrent - Non. C'est pour cela que j'ai fait cette enquête parce qu'on connaît très mal l'Arabie saoudite. Et on a tendance toujours, nous autres Occidentaux, à appliquer nos critères et notre grille de lecture par rapport à l'extraordinaire rigidité, l'archaïsme, l'étouffoir qu'a été l'Arabie saoudite pendant plusieurs dizaines d'années. Le Roi désigne son plus jeune fils comme prince héritier. Pour la première fois, il casse le système qui consistait à ce que le sommet du pouvoir passe de frères en frères, tous vieillards cacochymes.

 
© Jean Benard Vernierjean Benard V/Polaris/Photo News 

On voit ce jeune homme arriver, qui a une vision de son propre pays consistant à le faire entrer dans le XXIe siècle mais par rapport à ses propres critères. Il prône le permis de conduire, sous condition, pour les femmes, les divertissements, le sport, tout ce qui était interdit par un espèce de corset religieux. Oui, ce prince est une bonne nouvelle et il parle en plus d'un islam modéré. Alors que, en Arabie saoudite, le mélange de l'interprétation intégriste wahhabite du Coran et les Frères musulmans a donné naissance aux terroristes Ben Laden et Daesh. Mais l'erreur que nous avons commise c'est d'imaginer que tout cela allait se faire à notre manière. Non, évidemment. Ce jeune prince s'avère extrêmement brutal et il met en prison au fil des jours au moins trois mille personnes tantôt des militantes progressistes et féministes mais aussi des religieux conservateurs hostiles à ses réformes.

- Quel regard portez-sur la liberté de la presse en Arabie saoudite ?
- Elle n'existe pas. Il suffit de voir le classement de la liberté de la presse dans le monde (rapport Reporter Sans Frontières, 2018, ndlr) : l'Arabie saoudite occupe la 169ème place. Jamal Khashoggi n'était pas non plus un journaliste classique. C'était un frère musulman qui avait fait son parcours à l'intérieur même du système de pouvoir saoudien, il était un très proche conseiller de l'un des princes évincés par MBS, un prince qui avait dirigé les services secrets saoudiens pendant une vingtaine d'années avant d'être ambassadeur à Londres et à Washington.

 
© Jim WATSON/AFP/Archives 

Khashoggi s'est mis à l'abri à Washington quand il a senti que par rapport à la mouvance à laquelle il appartenait, la poigne du jeune prince devenait de plus en plus vigoureuse et menaçante. Il est devenu un personnage incontournable à Washington parce qu'il était un des rares sinon le seul à expliquer comment fonctionnait ce système et à le critiquer.

- Vous-même, dans les années septante, aviez fait l'interview du roi Fayçal à Riyad.
- Je travaillais pour 60 minutes, le magazine d'information de la chaîne de télévision CBS News. J'ai fait l'interview du roi Fayçal parce que le journaliste américain avait raté son avion. C'était très étrange parce que Fayçal ne comprenait pas pourquoi il devait répondre à une femme. Il s'était mis quasiment de profil pour ne pas avoir à me regarder. Pour ce livre, je suis allée une seule fois en Arabie saoudite. Ce n'est pas le genre de pays où on va facilement. Je faisais partie d'un groupe d'experts, j'ai eu des contacts intéressants. Je ne me sentais pas en danger.

 
Riyadh © DR 

J'ai rencontré des gens très courageux qui ont continué, dès mon retour en France, à me donner des informations. Pour se mettre eux-mêmes à l'abri, ils ont exigé de rester anonymes, ce que j'ai respecté. C'est un système où les gens ont peur. A l'intérieur du pays, en Europe et en Turquie encore plus. Quand j'ai travaillé sur ce livre ces derniers mois, j'ai été frappée de vérifier la crainte, même des Saoudiens résidant en Europe craignant tantôt pour leur propre sécurité mais surtout pour celle de leur famille restée au pays.

- Mohammed ben Salman sera-t-il le fusible ?
- Je ne crois pas. La nature même de ce régime c'est de ne pas se remettre en cause. Il semble que le vieux roi Salmane fait revenir dans le tout premier cercle des princes plus âgés, pas la génération de MBS. Ses cousins de sa génération il les a matés par la rafle du Ritz Carlton il y a un an. Ces princes-là ont perdu le contrôle des forces armées des services de sécurité, ils ont dû rendre beaucoup d'argent. Le niveau de la corruption dans ce pays est l'un des plus élevés au monde. Il est intéressant que le roi Salmane fait remonter quelques vieux princes pour essayer de calmer le jeu. L'affaire Khashoggi constitue une très forte secousse pour le pouvoir saoudien. Le Roi ne va pas dire, je me suis trompé, je renvoie mon fils. Au contraire, le Roi l'a conforté en lui confiant une mission de plus qui est de réorganiser en un mois les services de renseignements.

 
Recep Tayyip Erdoğan © Zuma Press/Photo News 

La patronne de la CIA était à Istanbul hier pour essayer de comprendre quels sont les éléments véritablement dont disposent les Turcs. Parce qu'on n'a jamais eu les preuves de ce que les Turcs ont avancé, on n'a toujours pas entendu les enregistrements audio et encore moins vu la fameuse scie avec laquelle un médecin légiste aurait démembré ce malheureux Jamal. Il n'y a pas d'enquête américaine, il y a une enquête turque et en principe une enquête saoudienne en bonne entente avec les autorités turques.
Reporters sans frontières (RSF) et plusieurs autres organisations de défense de droits de l'homme insistent sur une enquête internationale crédible et indépendante dans l'affaire de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.


J'adhère à ce projet mais c'est une vue de l'esprit. Cela ne se fera pas. Les Nations-Unies n'ont aucune autorité pour faire ce genre de chose. La Turquie n'est pas le paradis de la liberté d'expression. C'est assez savoureux de voir le président Recep Erdogan qui a mis lui-même en prison une bonne partie des journalistes turcs de grande qualité s'est érigé en défenseur de transparence quand il s'agit de l'affaire Khashoggi. L'idée qu'il y aura une enquête indépendante avec le drapeau des Nations Unies, c'est sympathique mais cela ne se fera pas.


«Le prince mystère de l'Arabie : Mohammed ben Salman, les mirages d'un pouvoir absolu »
Christine Ockrent
Ed. Robert Laffont, 2018

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