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Corinne Le Brun
09 August 2023
– D’où vous vient votre intérêt pour les rituels ?
– Lors du premier confinement lié à la pandémie du Covid-19, j’accueillais les gens sur Facebook, tous les soirs, durant quarante-cinq jours. Je leur proposais quelques exercices de méditation, assis, en mouvement, dans le silence intérieur. Il y avait le besoin, pour tous, d’un rendez-vous quotidien, la nécessité de revenir en soi car les gens étaient perdus. Un ami m’a fait remarquer que j’avais mis en place un rituel autour du rite de l’éveil de la conscience. Il m’a suggéré d’écrire mon dixième livre sur ce sujet.
– Quelles sont les différences entre rite et rituel?
– Le rite apparaît dans notre vie personnelle ou collective par rapport à un besoin. Le rituel, quant à lui, va permettre de mettre en pratique la manière de répondre à ce besoin. Le baptême religieux ou universitaire en tant que rite va répondre au besoin d’accueillir un nouveau membre dans une communauté, de rappeler les valeurs de celle-ci mais aussi au besoin pour celui qui y participe de montrer son engagement. Le rituel varie d’une communauté à l’autre, selon les usages. Il manifeste le contenu dans le rite.
© DR
– Vous écrivez, « le besoin a une origine biologique ». Pour quelles raisons ?
– Ma formation de médecin fait que chaque fois que je vois un comportement humain expliqué par des impératifs biologiques, cela me réjouit. Ainsi, dans le fonctionnement du cerveau, le cortex cingulaire antérieur agit comme un détecteur de sens. Si une action n’a pas de sens, cette zone génère de l’angoisse voire un tel stress que même notre système immunitaire serait abîmé. Le besoin de sens est essentiel pour l’être humain. Ritualiser permet de donner du sens à ce que nous faisons et de préciser nos intentions. Ritualiser apaise le cortex cingulaire antérieur. Cela montre combien la nature est bien faite.
– Quels sont les rituels pathologiques ?
– Les personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) éprouvent le besoin d’évacuer leur anxiété en accomplissant des actions répétitives qui sont un moyen de calmer une angoisse et d’échapper à l’anxiété. Or ces personnes ne sont pas libres. Elles sont aliénées. Le rituel, en revanche, est un acte conscient que l’on choisit de faire. Il apporte un bien-être personnel parce qu’il va permettre de vivre moins angoissé, d’exister avec des repères et des projets. Le rituel apporte aussi un mieux-être collectif grâce aux neurones miroirs qui sont à la base de nos apprentissages. Ces petites cellules, une fois sollicitées, vont donner un sentiment d’appartenance. La fonction du rituel est d’apprendre à coexister, à vivre ensemble. Certains rituels peuvent être mis au service d’intentions nocives : des dictateurs vont ritualiser pour amener le peuple à la guerre, par exemple. Le rituel en lui-même n’est pas négatif. Si nos politiciens comprenaient cela, ils pourraient, aujourd’hui, fédérer les gens au service de besoins collectifs positifs comme prendre soin de l’environnement. Par exemple, instaurer une fois par mois la collecte des déchets dans la rue, nettoyer un bois, une plage… L’éco-anxiété est plus délétère qu’on ne l’imagine.
– Comment s’inventer des rituels ?
– La pandémie du Covid-19 nous a confirmé que la vie est incertitude. Ritualiser permet de se rassurer. On a tous des ressources intérieures. Au lieu de s’enfermer dans des rituels prescrits par autrui, essayons de détecter nos besoins et inventons des rituels qui puissent y répondre. L’inventivité des gens est extraordinaire. Tous les soirs, chez moi, j’allume une bougie pour toutes les personnes qui ont traversé ma vie mais qui ne sont plus là. J’ai un lien avec ce monde invisible.
Photo de couverture : © Thierry Balasse
Livre
Inventer des rituels contemporains. Pour vivre dans un monde incertain
Autrice
Thierry Janssen
Editeur
Guy Trédaniel éditions
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