Rédaction
18 June 2019
Eventail.be - Trouve-t-on les racines de votre art dans votre jeunesse ?
Yom de Saint Phalle - J'ai reçu une éducation pour le moins classique et conservatrice, j'ai fait une bonne part de ma scolarité chez les Jésuites à Franklin, et donc tout naturellement, en grandissant j'ai cherché à briser le carcan. Ça a commencé par le kick-boxing vers 13-14 ans en tournant le dos au tennis que j'avais jusque là pratiqué avec une certaine assiduité. Parallèlement, je suivais des cours de dessin et de peinture dans un petit atelier de restauration à côté de chez moi. Auparavant, j'avais aussi découvert le modelage sur terre pendant quelques années. Après le Bac, je souhaitais faire les Beaux Arts, mais plutôt que de me suggérer l'école Boule par exemple, mes parents m'ont poussé vers les sciences politiques et le journalisme, ce qui n'a rien donné en terme de diplôme. À l'époque j'étais bien plus intéressé par la boxe et les combats que par des études que je trouvais trop conventionnelles.
© Fréderic Ducout |
Pour faire simple, j'avais du mal à me situer dans mon milieu social d'origine, et le sport incarnait à mes yeux une aventure sociologique bien plus passionnante et enrichissante. Cependant, à l'époque, en kick, les places au soleil étaient quasi inexistantes, même pour les grands champions. Donc pour répondre à votre question, c'est un peu par échec, que j'ai été poussé vers la nécessité de trouver une voie plus personnelle, plus singulière.
- A 24 ans, vous vous engagez dans la Légion étrangère. Pourquoi ce choix ?
- On s'engage en général à la Légion pour survivre. J'avais échoué dans mes études et sans être un mauvais boxeur, je n'étais pas non plus un combattant de classe mondiale. Les portes vers l'avenir semblaient de moins en moins ouvertes. J'ai pris une année sabbatique avant le service militaire et j'ai essayé de peindre le plus possible. Plus je peignais, plus je trouvais mon travail mauvais, plus je me rendais compte finalement que je n'avais rien à dire. Or, en art, tout est affaire de singularité. Il s'agit d'accoucher d'une expression personnelle, unique et différente de ce qui a été fait avant.
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J'ai donc rapidement compris qu'il fallait que je brise les chaînes ataviques, le conditionnement sociologique dans lequel j'avais grandi. Bonnes ou mauvaises, ces racines m'empêchaient de développer un langage original. Du coup la Légion où j'allais servir sous anonymat, avec une autre identité et nationalité, devenait l'outil parfait dont j'avais besoin. Par ailleurs, l'engagement initial de 5 ans me permettait d'éviter le service militaire qui ne me paraissait pas aussi intéressant sur les plans culturel, social et sportif.
- Vous resterez finalement 6 ans et demi dans l'institution. Quels enseignements avez-vous retiré de ce long voyage ?
- J'ai passé 6 années en compagnie de combat, en voyageant beaucoup aux 4 coins de l'Afrique, en passant par les Balkans et le Moyen Orient. Il s'agissait d'être dur au mal, résiliant dans l'effort, blindé mentalement. À la fin je me suis blessé et je suis passé de très fort - indépendant et autonome, à fragile, vulnérable et dépendant. Autrement dit, cette blessure et les 6 mois de soins nécessaires pour réapprendre à marcher, m'ont permis de quitter la Légion avec une expérience sur 180° du prisme des émotions humaines : de très fort à très faible. Il était temps de partir vers une nouvelle vie. J'ai su que j'étais prêt pour l'aventure artistique.
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J'ai aussi appris que l'important dans la vie n'est pas d'où l'on vient, mais où l'on va. La Légion m'a enseignée que la valeur d'un homme n'est pas liée à ce qu'il pense, à ses opinions, mais à ce qu'il fait, à la valeur de ses actes.
- Vous partez ensuite rejoindre votre tante Niki de Saint Phalle à San Diego en Californie où elle vous initie à la sculpture. Qu'avez-vous découvert à ses côtés ?
- J'ai appris plusieurs techniques nécessaires à la fabrication d'une forme : fibres de verre, soudure, mosaïques... J'ai aussi compris qu'une œuvre d'art devait être universelle, c'est à dire fonctionner partout, être anachronique (c'est à dire échapper au temps et aux modes) et transcendante (signifier plus qu'elle ne montre, héberger des métaphores).
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- De quoi parle votre œuvre ? Quels sont ses principes ? Avez-vous un message à nous transmettre ?
- Ma sculpture tente de nous désensorceler de l'illusion des sens physiques, afin de faire émerger en nous une perception plus spirituelle de l'aventure de vie qui nous réunit sur terre. Il s'agit selon moi de nourrir son âme, de la chérir, pour la faire grandir. L'être temporel et incarné est au service de l'âme source de son incarnation.
J'utilise la profondeur et l'épaisseur, la transparence et l'asymétrie pour composer mes pièces. Le jeu plastique s'appelle L'Évidence Évidente : c'est un écho direct aux valeurs alchimistes, notamment la persévérance, « percez et vous verrez ». En perçant de part en part mes volumes dans les trois dimensions, je révèle métaphoriquement, à l'intersection des trois axes, une quatrième dimension faite de lumière. C'est donc qu'il existe par delà les apparences du monde physique une autre réalité plus subtile, lumineuse et cette lumière finalement est en chacun d'entre nous.
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C'est une invitation à la tolérance, au respect des diversités du monde, des destins humains, des cultures et des géographies.
J'essaie de développer des sculptures qui soient cohérentes dans toutes les dimensions, que l'on peut poser dans tous les sens, sans qu'elles ne perdent de leur puissance symbolique. Je tente de trouver l'équilibre dans le déséquilibre, le mouvement dans l'immanence, le rayonnement dans la transparence.
Le message en art consiste en général à tenter de faire évoluer même modestement, le cadre de la psyché humaine, à repousser et à affiner notre perception de la vie : je n'échappe pas à cette tradition. L'alternative, consiste à produire du commentaire ou du divertissement, mais cela ne m'intéresse pas vraiment : la vie est trop courte !
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