Christophe Vachaudez
16 September 2021
Seconde fille de la reine Juliana et du prince Bernard, elle naît en août 1939 au palais de Soestdijk et reçoit, en ces temps troublés, le prénom de la déesse grecque de la paix. Elle passe sa petite enfance en exil à Londres puis à Ottawa, au Canada, avant de regagner les Pays-Bas après la deuxième guerre mondiale. Cette filleule de la reine-mère Elisabeth va y recevoir une solide éducation et après avoir été demoiselle d'honneur au mariage de Sophie et de Juan-Carlos d'Espagne, elle se rend à Madrid pour étudier la langue de Cervantes. C'est alors qu'elle fera les manchettes des journaux en se fiançant avec le prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme, l'un des prétendants au trône d'Espagne. En effet, à l'époque sa décision fait scandale et le gouvernement néerlandais s'oppose fermement à cette union et à la conversion de la Princesse au catholicisme. Mais Irène n'en a cure et après avoir simulé un changement d'avis qui calme un temps la polémique, elle épouse finalement à Rome l'élu de son coeur, le 29 avril 1964, provoquant une crise politique d'importance et se privant par là-même de la présence des siens à la cérémonie. Il faudra des mois pour que la tempête s'apaise. La princesse sera même un temps persona non grata dans sa patrie, un camouflet de taille !
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Elle s'investit alors sans compter et défend bec et ongles la cause du carlisme. Vraie pasionaria, elle prononce des discours enflammés qui lui valent d'être expulsée du sol espagnol en 1977, fait peu banal pour la fille d'une souveraine régnante ! Quatre enfants viendront couronner cette union solide et complice qui se termine pourtant en divorce en 1981. Revenue à La Haye avec Carlos, aujourd'hui duc de Parme et de Piacenza, de Carolina, comtesse de Sala, et les jumeaux Margarita, comtesse de Colorno, et de Jaime, comte de Bardi, elle finit par perdre pied quelque temps mais ne peut s'empêcher d'exprimer ses colères. Ainsi, elle n'hésite pas à s'opposer publiquement au déploiement militaire de l'Otan en Europe et lutte en faveur du désarmement et de l'utilisation de l'arsenal nucléaire, un positionnement peu apprécié du gouvernement et qui fait un peu désordre pour une altesse deux fois royales. Sommée de tempérer ses élans, la Princesse se cherche et se tourne finalement vers la nature pour retrouver un équilibre mis en péril depuis sa séparation.
Des quatre filles du couple royal, Irène est sans doute celle qui a une perception épidermique des choses même si Christina était une musicienne accomplie et si Beatrix sculpte avec un talent confirmé. Irène semble avoir trouvé sa voie et suit des ateliers aux États-Unis et en Europe mettant en lumière l'intensification de l'éloignement entre l'être humain et la nature qui l'entoure.
La princesse Irène des Pays-Bas au bras de son fils Carlos, duc de Parme © Photonews |
Les projecteurs se braquent à nouveau sur la Princesse quand elle publie en 1995 un livre intitulé "Dialogue with Nature". Les medias se focalisent sur quelques extraits et tournent Irène en dérision. Persuadée de pouvoir profiter de l'énergie dégagée par les entités vivantes, elle avoue parler aux arbres, au soleil et aux plantes. Elle essaie aussi de communiquer avec les dauphins. Si les moqueries l'atteignent, elle ne se démonte pas et développe un raisonnement qui aboutira à la création du Natuur College, une fondation qui promeut notamment des programmes dans les écoles bataves pour reconnecter les enfants au milieu naturel. Car pour la princesse Irène : "Chaque vie individuelle est liée à celle d'innombrables autres formes de vie, et elles sont toutes reliées entre elles comme à chacun d'entre nous. Quand cette connexité se rompt, nous ne percevons plus la puissance merveilleuse de la vie. Cela conduit à un sentiment d'aliénation et d'isolement, qui aboutit souvent à des manques de respect pour nos semblables et à l'appauvrissement de notre propre vie, ouvrant la voie à une exploitation outrancière de la terre et de la nature. La durabilité et le bien-être de la planète exigent un engagement quotidien basé sur cette connexité". L'ambition parait certes démesurée mais les petits rus n'alimentent-ils pas les grandes rivières ?
La couverture du dernier livre de la princesse Irène des Pays-Bas © Knnv Uitgeverij |
La tante du roi Willem-Alexander veut mettre en pratique ses théories sur le terrain et, en 1998, un voyage l'emmène en Afrique du Sud, et plus précisément dans le désert du Karoo. Comme elle l'a confié dans un ouvrage paru fin 2016 : "J'ai perçu sa sauvagerie, son immensité, sa dureté et sa façon de faire ressortir votre pouvoir intérieur. J'ai senti une connexion profonde à cet endroit et je voulais partager cela avec un maximum de personnes'. Et comme de coutume, la Princesse ne se contente pas de demi-mesures et elle acquiert près de 5000 hectares qui seront bientôt élevés au rang de réserve naturelle proclamée de la région de Nieu Bethesda - Graaff-Reinet. Renommé pour sa beauté et le gigantisme de ses espaces, l'endroit, baptisé Bergplaas, devient le sanctuaire d'Irène.
Très vite, elle souhaite le partager et met sur pied, secondée par une équipe de professionnels, des programmes d'apprentissage environnementaux et de développement de compétences personnelles. Ils relient des personnes de tous horizons à l'environnement naturel, qu'il s'agisse de jeunes issus de milieux défavorisés dans les zones urbaines et rurales de l'Afrique du Sud, de jeunes promis à des emplois gouvernementaux dans le secteur de la conservation, des étudiants universitaires et collégiaux, des citoyens et éco-touristes ou de global business leaders. Comme l'écrit la Princesse : " (...) au XXIe siècle, beaucoup d'entre nous ont perdu cette connexion qui est la ligne de vie de notre humanité partagée, notre bien-être collectif et la réalisation de notre plein potentiel." Les stages ont pour objectif de réveiller la force vitale qui sommeille en nous et d'accroître notre sentiment d'appartenance à la nature. Ceci déclenche une connexion croissante avec soi-même, une confiance et une acceptation de soi qui, à son tour, nourrit la capacité de diriger et de partager les connaissances et les compétences de communication acquises lors du stage.
La princesse Irène des Pays-Bas est toujours très appréciée lors de ses engagements officiels. © DR |
Longtemps considérée comme une farfelue, ses interventions répétées semblent aujourd'hui avoir fait école. Elles rangent définitivement la princesse Irène parmi les défenseurs d'un environnement cruellement mis en péril, dans la lignée de son père, le prince Bernard qui oeuvra à la fondation et au financement du WWF. Très proche de ses soeurs et de ses neveux, elle assiste, toujours très élégante, à tous les événements familiaux et officiels de la cour, comme ses enfants, tous très appréciés. Enfin, elle reste très liée au régiment qui porte son nom et voit très régulièrement ses neuf petits-enfants qui, n'en doutons pas, seront les premiers à être sensibilisés à cette connectivité à la nature qui lui est si chère.
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