Christophe Vachaudez
12 March 2021
Fille de la princesse royale Bhuppa Devi et nièce de l'actuel souverain du Cambodge, le roi Sihamoni, la princesse nous avait reçu voici quelque temps pour un entretien à bâtons rompus, maniant à merveille cette pointe d'humour que ses proches apprécient tant.
L'Eventail - Madame, le coup d'état vous a contraint à l'exil. Comment avez-vous vécu cette période ?
Princesse Norodom Chansita - Après le coup d'état du 18 mars 1970, nous étions toujours au Cambodge. Je n'avais que 5 ans et je ne me rendais pas vraiment compte de la situation. Mon grand-père, le roi Sihanouk était à l'étranger. Il a fait affréter un avion pour que sa mère puisse sortir du pays et nous avons pu en profiter. J'ai donc commencé mes études en Chine puis, en 1975, quand les khmers rouges ont demandé à tous les membres de la famille royale de revenir au Cambodge, ma mère a refusé car elle n'avait aucune confiance. Elle a donc décidé d'aller en Yougoslavie car le maréchal Tito était un ami de mon grand-père. Nous y sommes restés un an et comme elle ne souhaitait pas abuser de son hospitalité, elle a choisi de venir en France en 1976 et nous y avons obtenu le statut de réfugiés politiques. Entretemps, le Cambodge s'était isolé et il était impossible de communiquer. J'ai donc continué mes études à Paris puis j'ai été envoyée en Grande-Bretagne pour parfaire mon Anglais. J'y ai vécu six ans et j'ai rencontré mon époux. Nous nous sommes mariés selon le rite anglican et puis au Cambodge, en 1996, avec la bénédiction de mon grand-père, le roi Sihanouk.
© DR |
Nous séjournions au Cambodge pour les vacances et puis, en 2000, nous avons décidé de nous y fixer. J'avais passé beaucoup de temps en Europe et j'avais envie de découvrir le pays. De plus, je voulais profiter de ma famille qui avait regagné Phnom Penh et être aux côtés de mon grand-père qui était malade. Je souhaitais aussi pouvoir apporter quelque chose de personnel. Évidemment, impossible d'entrer en politique pour un membre de la famille royale. Je me suis dit alors, pourquoi ne pas travailler pour une association ? Notre trajectoire a fait que j'ai toujours du travailler pour gagner ma vie car nous avons tout perdu après la guerre et donc, pour moi, il était tout à fait normal de m'intégrer dans une entreprise. Finalement, j'ai trouvé ma voie. En effet, à travers l'hôtellerie, j'ai pensé que je pouvais promouvoir mon pays. Quand je suis arrivée au Raffles de Phnom Penh, les membres du personnel étaient plutôt surpris. Difficile de comprendre pour eux qu'un membre de la famille royale doive travailler, en comparaison de la Thaïlande, le pays voisin, où l'État subvient aux besoins de la maison souveraine. Finalement, ils se sont vite habitués et maintenant, tout se passe à merveille même si j'ai un petit accent parisien quand je parle khmer. La France m'a beaucoup apporté et je ne l'oublierai jamais car j'adore retourner à Paris, goûter comme à Londres à un certain anonymat, mais c'est vrai que maintenant je me sens chez moi au Cambodge.
Le Royal Raffles, où travaille la Princesse © DR |
- Vos parents vous parlaient-ils parfois de la situation que vivait Cambodge ?
- Ma mère nous parlait rarement du Cambodge car elle ne voulait pas nous distraire de nos études et je crois sincèrement qu'elle ne croyait jamais pouvoir y revenir. C'était comme une sorte de deuil pour elle. Puis, il y a eu les accords de Paris et les choses ont évolué. Quand elle est rentrée, le pays était dans un état lamentable et l'ampleur de la tâche était immense. Comme elle avait été une apsara renommée pour son talent, on lui a demandé de recréer le ballet royal. Elle a donc reformé des danseuses. Le Cambodge a tellement changé en quelques années. J'en arrive à éprouver un peu de nostalgie pour le pays que j'ai connu en arrivant mais j'imagine que c'est un peu la rançon du progrès.
- Connaissez-vous la Belgique ?
- Bien sûr. J'ai visité la Belgique et je connais Brugge et Bruxelles où je me souviens d'un mémorable 'moules-frites' près de la Grand-Place, une habitude que j'ai gardée puisque le 21 juillet, je célèbre la fête nationale dans un restaurant de Phnom Penh dont l'un des patrons est belge, un très bon ami. J'ai aussi rencontré des Belges en Afrique car je dois vous avouer que j'ai vécu en Afrique pendant un an, d'abord à Kinshasa puis au Burundi et au Rwanda.
La princesse Norodom Chansita avec notre journaliste et spécialiste du gotha, Chrstophe Vachaudez, lors de l'interview © F. Ducout |
En fait, j'étais plutôt insupportable à Paris et ma mère a décidé de m'envoyer chez une tante qui travaillait pour les Nations-Unies au Zaïre, une sorte de dame de fer qui devait me prendre en main. Je l'ai ensuite suivie dans le pays voisin quand elle a été mutée. Ce fut une période très heureuse pour moi même si j'avais beaucoup d'appréhension au début.
- Quelle fonction remplissez-vous au sein de l'hôtel ?
- Je suis Sales Manager et, avec ma collègue Noemie, nous sommes en charge du marketing. Je m'occupe des délégations, de la communauté française, des ambassades et je suis membre de la Chambre de commerce. Je promeus l'image de cet hôtel qui est merveilleux.
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Ainsi, j'ai récemment donné une interview à National Geographic. Dans notre restaurant, Le Royal, la cuisine cambodgienne est réalisée à partir de recettes que mon arrière grand-tante a souhaité transmettre à notre chef. C'est assurément l'un des meilleurs restaurants du pays !
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