Sylvie Dejardin
04 February 2022
Anthony Fardet © DR
L’Éventail – Suite à la parution de votre premier livre Halte aux aliments ultra-transformés, mangeons vrai et maintenant dans votre nouvel ouvrage Pourquoi tout compliquer ? Bien manger est si simple, vous insistez sur la différence entre le réductionnisme alimentaire et l’holisme. Pourriez-vous nous expliquer ces deux concepts et les nuances qui en découlent ?
Anthony Fardet – La vision réductionniste considère un aliment comme une somme de nutriments et résume son potentiel santé à la somme des effets bénéfiques de ceux-ci pris isolément. La vision holistique, par contre, voit l’aliment dans sa globalité et dans sa complexité. L’effet “matrice”, au cœur de cette vision, prendra en compte les liens entre les nutriments qui vont interagir entre eux. En résumé, le tout vaut mieux que la somme des parties. C’est de cette synergie matrice/nutriment dans laquelle ils sont encapsulés que dépendra la charge santé d’un aliment. Notre société se focalise, à tort, sur les nutriments pris séparément, comme s’ils étaient interchangeables. C’est de cette façon qu’un aliment est stigmatisé et rejeté, car considéré comme trop gras ou trop sucré, voire trop salé. Dans ce cas de figure, le fromage est blâmé pour de mauvaises raisons alors que sa consommation n’est pas associée aux maladies chroniques. Les graisses saturées dans ce genre de matrice n’ont pas le même impact que si elles sont prises de manière isolées et ajoutées dans des matrices ultra-transformées.
On se trompe de cible en faisant des recommandations sur les nutriments et cela engendre une grande confusion au sein de la population, car la valeur des nutriments dépend de la qualité de la matrice dans laquelle ils sont inclus. Cependant, combiner les deux approches est tout à fait vertueux. Connaître l’aliment en profondeur et dans sa globalité génère une approche plus précise. Mais il faut toujours aller du global vers le spécifique c’est-à-dire de la matrice vers les nutriments et non le contraire. En effet, la matrice inclut les nutriments mais l’inverse n’est pas vrai.
Junk food. © DR
– Vous faites référence aux aliments ultra-transformés qui jouent un rôle extrêmement délétère sur la santé. Comment les reconnaître ?
– Les pays les plus gros consommateurs de produits ultra-transformés sont ceux où les maladies d’industrialisation progressent le plus, comme aux USA. La Belgique est en 5e position dans le classement mondial des ventes annuelles d’aliments ultra-transformés par pays. La corrélation est indiscutable. Un aliment ultra-transformé contient au moins un marqueur d’ultra-transformation. Il en existe quatre : les arômes naturels ou artificiels et les extraits, les additifs cosmétiques qui modifient le goût, la texture ou la couleur (> 80 % des additifs), les ingrédients ultra-transformés comme des isolats de fibres ou de protéines, les huiles hydrogénées, les sirops de glucose… Et enfin les traitements technologiques qui explosent la matrice de l’aliment, comme les céréales cuites extrudées du petit-déjeuner pour enfants.
En résumé, si un produit contient plus de cinq ingrédients, on a plus de trois chances sur quatre d’avoir un aliment ultra-transformé. Aujourd’hui, les rayons des supermarchés sont remplis de chimie comestible, malgré un classement souvent très favorable dans les applications type Nutri-score, essentiellement basées sur un logiciel ultra-réductionniste de l’alimentation, celui-là même qui a contribué aux maladies chroniques. Les steaks végétaux industriels en sont le parfait exemple, car ce sont des recombinaisons de marqueurs d’ultra-transformations. Ils ne présentent aucun intérêt nutritionnel, tout en étant bien noté par le Nutri-score et donc positivement perçus par la population comme étant bons pour la santé.
– Quelles sont les clés pour mieux manger, mieux consommer ?
– La validation scientifique du potentiel santé d’un aliment ou d’un régime a beaucoup plus de poids pour la société que la validation réductionniste de trois ou quatre nutriments de ce même aliment, mais pris séparément au regard des maladies chroniques. En partant de ce principe, j’ai établi la règle des trois V comme “vrai” : tout d’abord en référence à l’effet matrice, pour séparer les vrais des faux aliments. J’ajouterai de toujours privilégier les formes solides aux formes liquides, car cela va impacter la satiété (une orange plutôt qu’un jus d’orange, par exemple), de favoriser les féculents complets par rapport aux raffinés, et ne pas avoir la main trop lourde sur le sel, le sucre et/ou le gras ajoutés. En tendant vers un régime qui respecte la règle des trois V, on ne peut pas se tromper, à la fois pour sa santé et celle de la planète.
1. V comme… végétale : Privilégier les calories végétales
2. V comme… vraie : Limiter les produits ultra-transformés
3. V comme… variée : Manger varié, de saison, local & si possible bio
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