Martin Boonen
14 November 2024
Les Rencontres Jean-Marc Quarin reviennent pour la 4e fois à Bruxelles. Lors de cette grande dégustation, une trentaine de domaines, parmi lesquels des vins outsiders, peu connus, et des crus classés qui ne dorment pas sur leurs lauriers, fera le déplacement à Bruxelles. Un atelier dégustation consacré au Château Croix de Labrie (Saint-Emilion Grand Cru Classé) sera proposé aux visiteurs. La vraie nouveauté réside dans la tenue d’un grand dîner en introduction du salon. Il aura lieu au Cercle Royal Gaulois. Pour l’occasion, le chef Thierry Lefevre a préparé un menu spécial pour accompagner les vins choisis par Jean-Marc Quarin.
Eventail.be – Pourquoi avez-vous choisi d’organiser ce salon à Bruxelles ?
Jean-Marc Quarin – Après Paris et Lausanne, nous voulions aller à Bruxelles. D’abord, parce que les Belges ont longtemps été les premiers buveurs, par habitants, de vins de Bordeaux dans le monde. Ensuite, il y a en Belgique, une vraie culture, un vrai amour du vin. Les trois précédentes éditions étaient très satisfaisantes, mais l’année dernière a vraiment marqué un tournant en termes d’intérêt et de fréquentation.
Les salons du Steigenberger Wiltcher's transformés pour l'occasion en salle de dégustation © LRJMQ
– Le vignoble de Bordeaux est-il en crise ?
– À mon sens, oui. Contrairement à ce que l’on peut penser, le vignoble bordelais est très hétérogène et tout le monde n’y est pas en crise. Il y a d’abord une crise de la production. Le demande s’est essoufflée, il faut alors limiter la production. Les domaines d’entrée de gamme arrachent une partie de leurs vignes et convertissent leurs nouvelles parcelles en un autre type d’agriculture, plus rentable. Les grands châteaux, eux, arrachent mais pour ne rien replanter. L’idée reste la même : limiter la quantité de vin mise sur le marché. Il y a ensuite, une crise de la vente. La fameuse “place de Bordeaux” souffre de plans sociaux, de restructurations… Le grand négoce bordelais a fait savoir aux propriétés qu’il se concentrerait sur ses stocks actuels et qu’il n’achèterait plus rien avant plusieurs années.
Un atelier dégustation est également au programme. Cette année, il consistera en une dégustation verticale du Château Croix de Labrie, (Grand Cru Classé à Saint-Émilion) commentée par Jean-Marc Quarin. © LRJMQ
– Les “vins outsiders” sont-ils une réponse à cette crise ?
– Je crois fermement que ce que je propose est une partie de la réponse à cette crise de la vente. J’appelle “vins outsiders” ces vins dont le goût est supérieur à ce que l’étiquette laisse paraître. Un vigneron bordelais qui travaille plus que ce que son appellation exige de lui, qui fait plus d’efforts que les autres vignerons dans son appellation, est pénalisé parce que le négoce lui achète son vin au prix moyen de son appellation, quoi qu’il fasse, quelque soit la qualité de son vin. En fait, le négoce pourrait reconnaître ses efforts et lui acheter son vin à un prix plus juste, mais cela lui demanderait à lui aussi, beaucoup plus d’efforts pour le vendre sur le marché, tout en faisant des marges inférieures à celles qu’il peut revendiquer avec des grands domaines prestigieux, vendus très chers. C’est très décourageant pour tout le monde et ça ne tire pas le vignoble vers le haut. Les jeunes vignerons qui se lancent ou reprennent des domaines familiaux avec l’envie de faire encore mieux que leurs aînés, voient leurs ambitions cassées dans l’œuf par la place de Bordeaux.
© LRJMQ
– Que peuvent-ils faire ?
– Il ne leur reste plus qu’à continuer à s’appliquer et trouver des clients en direct, faire eux-même le travail que le négoce ne veut plus faire pour eux. Il faut se rendre compte que la structure économique et commerciale du vin de Bordeaux ne laisse pas de place à l’innovation. Beaucoup de plus petits vignerons s’imaginent qu’imiter les pratiques des grands crus classés de leur région leur sera profitable. Ce n’est pas le cas, mais ces vignerons sont orphelins d’un autre système de distribution. Il y a donc un espace pour inventer quelque chose. Et cela rendrait service au public. C’est la raison d’exister des salons que nous organisons. Nous voulons combattre l’idée, tenace, que si le vin est cher, c’est qu’il est bon. J’entends défendre des vins vendus à des prix “où les boire enchante”.
© LRJMQ
– Les différents classements bordelais ne devraient-ils pas déjà jouer ce rôle ?
– Les classements ont atteint leur limite. Si ce n’est celui de 1855, le plus célèbre d’entre-eux, dont le prestige le préserve encore, les autres n’ont plus la même autorité sur les marchés. Le classement des crus bourgeois du Médoc, par exemple, ne sert plus à rien. Beaucoup de crus bourgeois prennent la crise de plein fouet.
© LRJMQ
– Pour la première fois à Bruxelles, les Rencontres Jean-Marc Quarin seront précédées d’un dîner et d’une dégustation au Cercle royal Gaulois. Pourquoi ?
– Tous nos événements sont bâtis avec un grand dîner la veille de l’ouverture du salon. Jusqu’à présent, nous n’avions pas trouvé, en Belgique, de lieu pour nous accueillir comme nous le voulions. Ont nous a suggéré le Cercle Royal Gaulois et nous sommes ravis de cette nouvelle collaboration. Nous dégusterons à cette occasion des vins outsiders, dans des appellations connues mais dont on ne soupçonne pas encore qu’il soit possible d’y trouver encore des vins abordables pour leur qualité.
© Cercle Royal Gaulois Artistique & Littéraire
– Votre combat est celui du rapport qualité/prix ?
– Peut-être, mais je n’en parle jamais comme ça. Je préfère parler d’émotions, de vins plus discrets qui ressemblent parfois étrangement à leurs cousins prestigieux, et qui, à l’occasion, à l’aveugle, sont capables de leur passer devant. Mais, ils sont peu. Je limite volontairement les salons que nous organisons à trente crus, mais, si je le voulais, je n’en trouverais pas cent. Emile Peynaud, l’auteur du célèbre livre “Le goût du vin” écrivait que c’était le négoce (on y revient), qui avait inventé la différence entre les appellations pour scinder le marché et le rendre plus attractif. Mais, soyons honnêtes, à l’aveugle, il est extrêmement difficile de faire la différence intrinsèquement, entre des margaux, des st-estèphe, des pauillac ou des st-julien… Il faut démystifier cette classification un peu idéalisée… Il y a plus de 60 AOC à Bordeaux, mais il n’y a pas 60 goûts différents. Il y a deux grandes familles de goûts : celle du merlot (sur la rive droite), et celle du cabernet sauvignon (rive gauche). Le reste, c’est beaucoup de grands discours. Mais qui fait le discours autour du vin ? Les marchands ! Alors que ceux qui ont la vraie légitimité d’en parler, ce sont les vignerons. Mais ceux-ci, pour des raisons d’intérêts commerciaux, s’effacent derrière le négoce.
– Votre méthode de dégustation, aussi, prend ses distances avec les pratiques habituelles ?
– Je l’ai appelée “la bouche avant le nez”. Le vin est un sujet difficile. Tout le monde a essayé de le simplifier, mais souvent, cela revenait à le dénaturer. Je propose de revenir à l’essentiel : le goût. En Bourgogne, à l’origine, pour goûter le vin, les vignerons, dont l’objectif était quand même de faire le meilleur vin possible, utilisaient un tastevin. qui est, avec ses bords plats, l’antithèse de tous les verres de dégustation que l’on connaît actuellement. Cela veut dire que les Bourguignons s’en remettaient, pour apprécier le vin, à leur bouche. L’importance du nez dans la dégustation arrive à un moment de l’histoire où le vin devient un marqueur social, où l’on complique les rituels de dégustation pour leur donner de l’importance. De nos jours, les commentaires critiques laissent une place démesurée à l’odorat et délaissent presque les sensations du palais. Je veux remettre l’église au milieu du village et la bouche avant le nez.
Dégustation
Les Rencontres Jean-Marc Quarin
Adresse
Steigenberger Wiltcher’s
Avenue Louise, 71
1050 Bruxelles
Dates & horaire
Sur internet
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