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Le bordeaux nouveau est arrivé ?

BordeauxŒnologieVin

Martin Boonen

26 October 2023

Après plus de dix ans de ‘bordeaux bashing’ le vignoble bordelais semble prêt à répondre aux critiques. Alors que le goût du consommateur évolue avec son temps, celui des “bordeaux de Papa” touche peut-être à sa fin. Mais alors, à quoi ressemblent-ils, ces nouveaux bordeaux ?

Le vignoble de Bordeaux est l’un des plus prestigieux de France, voir, du monde. En tête de gondole, les stars du classement de 1855 (les fameux châteaux Mouton Rothschild, Latour, Margaux, Haut-Brion ou Lafite-Rothschild, pour ne citer que les premiers crus) ont une aura internationale. Porté aux nues par l’ultra-influent Robert Parker, le style des vins de Bordeaux a inspiré pendant des décennies la viticulture mondiale. Malgré tout, ces quinze dernières années, l’auréole bordelaise s’est quelque peu fanée, victime d’un dénigrement parfois systématique et injustifié des critiques ou des consommateurs. En revanche, quand en janvier 2021, c’est Bernard Magrez lui-même, propriétaire de quatres crus classés (Château Pape Clément, Château Fombrauge, Château La Tour Carnet et Clos Haut-Peyraguey), qui vient pointer du doigt dans la presse le passéisme, le manque de dynamisme et de renouvellement des vins de Bordeaux, c’est que le problème est sans doute plus profond que le désamour un peu snob et branchouille de quelques bobos néo-œnologues. Il fallait donc proposer quelque chose de nouveau. Mais comment continuer à être, quand on a tant été ?

Les prestigieux grands crus classés de 1855, comme ici le fantasmagorique chai du château Cos d'Estournel (2e grand cru classé) continuent d'être le porte-drapeau de l'excellence du vignoble bordelais tel que le monde l'entend. Immuable ? © DR/Shutterstock.com

ll ne s’agit pas de remplacer les vins qui ont fait la grandeur de notre vignoble, commence Laurent Siozard représentants de la 6e génération de viticulteurs sur le domaine qui porte son nom, il s’agit de proposer une offre complémentaire. Il y a une grande partie de la production bordelaise qui continue de faire du vin comme nos parents le faisaient, comme nos grands-parents le faisaient. Et c’est très bien puisqu’il y a toujours une clientèle pour ces vins-là. Mais il y a une vraie demande pour des vins différents aussi, et même ici à Bordeaux, nous devons l’entendre.” En effet, l’engouement toujours croissant pour les vins nature (nous en parlions ici) illustre bien l’appétence d’une clientèle grandissante pour des vins plus légers, plus fruités, moins tanniques. Des vins qui s’affranchissent de la cave ou de la table pour être bus immédiatement et à l’apéritif, simplement.

Les bordeaux modernes initient un retour aux fruits © Mathieu Anglada/CIVB

Et c’est là que cela se corse pour Bordeaux, car il semblerait que ces nouveaux goûts soient en parfait contradiction avec ceux de celui qui a longtemps fait la pluie et le beau temps dans le plus célèbre vignoble de France : Robert Parker. Ce dernier a récompensé dans son influent guide pendant des décennies des vins gastronomiques, puissants, structurés, faisant la part belle aux arômes tertiaires et laissant une place parfois démesurée à l’élevage sous bois et à l’inévitable goût boisé qu’il infuse dans le vin. Au détriment, quand il est mal exploité, des saveurs fruitées si chères à nos nouveaux amateurs.

Les frères Laurent et David Siozard, 6e génération du domaine qui porte leur nom © DR

Si Robert Parker a permis le rayonnement international des vins de Bordeaux, il semblerait que son héritage soit désormais quelque peu encombrant. Il faut donc que les vignerons apprennent à faire autrement : “nous faisons évoluer notre façon de travailler. Nous allons chercher moins de matière, nous faisons moins d’extraction mais nous allons trouver plus de fraîcheur” explique Laurent Siozard. Et tout cela se passe, et à la vigne, et au chai. À la vigne, on fait attention à la surmaturité des raisins, les portes-greffes sont plus tardifs, la gestion d’un domaine devient plus parcellaires, on redécouvre des cépages historiques (c’est l’heure du grand retour du petit verdot ou du carmenère à Bordeaux) ou au contraire, on en essaie de nouveaux (le castets, le marselan, l’arinarnoa et le touriga nacional, mais nous vous en parlions déjà ici). Au chai, on délaisse les fûts de chêne chers à Parker pour se diriger vers des procédés d’élevage plus ancestraux (les jarres ou les amphores) ou plus expérimentaux. Les macérations sont plus courtes pour réduire les extractions de tannins et on ose même désormais s’en remettre parfois aux levures indigènes. L’engagement environnemental semble être renforcé même si les avancées dans ce domaine ne sont pas spectaculaires.

L'élevage en amphore a finalement fait son apparition à Bordeaux © Favoreat/CIVB

Ce qui change surtout, c’est que désormais, les vignerons n’ont plus peur de revendiquer ces nouvelles directions (sans pour autant renier les précédentes, précisent-ils toujours prudemment) et l’affichent désormais sur les bouteilles. Fini les étiquettes représentant le vieux château domanial ou la maison ancestrale, elles font désormais appel à des artistes, cassent tous les codes des vins conventionnels et s’inspirent de celle de leurs cousins naturels. Certains renoncent même à l’emploi de bouteilles bordelaises (aux épaules très marquées) pour leur préférés des bouteilles qui s’inspirent de la Bourgogne ou du Rhône. Si pour la bouteille, c’est une véritable révolution identitaire qu’en reste-t-il dans le verre ?

L'impressionnante et très contemporaine Cité du Vin à Bordeaux est aussi un marqueur de la modernité du vignoble de la région. bordeaux-nouveau © DR/Shutterstock.com

En général, on se retrouve quand même assez loin de la folie et de l’élan que proposent les meilleurs vins natures. Non, les cuvées bourgeoises bordelaises ne sont pas devenues d’un coup des punks à chien du raisin. Cependant, il faut tout de même reconnaître à ces bordeaux 2.0 une plus grande souplesse que les icônes dont ils s’affranchissent. S’ils n’ont pas complètement remplacé les fruits compotés et les notes de cuir, de tabac ou de sous-bois, les fruits frais ont plus de place pour s’exprimer. Les tanins se montrent plus discrets et les vins s’apprécient donc plus facilement dans leur jeunesse et à température plus fraîche.

Alors, ces bordeaux “nouvelle vague” vont-ils bouleverser l’un des vignobles les plus conservateurs de France ? Probablement pas. En revanche, en se montrant à la hauteur des standards de qualité des vins traditionnels du Bordelais, tout en faisant de vraies concessions sur les fondamentaux de ces vins, ils innovent réellement et montrent la détermination de Bordeaux à se réinventer, sans se compromettre. Un exercice d’équilibristes qui rend honneur aux vignerons qui s’y osent.

© DR/Shutterstock.com

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