Martin Boonen
01 October 2020
« Nous tenons fermement à continuer, et pour longtemps, à faire du Bordeaux à Bordeaux », cette évidence, c'est Bernard Farges, président des Vins de Bordeaux (le CIVB - Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) qui la clame. Mais est-ce vraiment une lapalissade ?
Rien n'est moins sur. Le changement climatique constaté (et confirmé d'années en années) par l'ensemble du vignoble commence à avoir une influence importante sur la vigne, et donc, sur le vin. « Nous constatons plus d'accidents météorologiques : des gelées plus tardives, plus d'orages en été... les vendanges commencent de plus en plus tôt » détaille Cécile Ha, chargée des relations presse internationale au CIVB. Conséquence de ce réchauffement climatique : les taux d'alcool montent progressivement, l'acidité se perd petit à petit... À ce train-là, que vont devenir les vins de Bordeaux ?
© G. Bonnaud |
Bernard Farges ne s'alarme pas : "c'est une menace, c'est sûr, mais ce n'est pas encore un problème avéré. Jusqu'à présent, il faut bien reconnaitre que le changement climatique a plutôt été favorable à notre vignoble. Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si nos cépages arriveront à maturité, mais quand y ils arriveront ». En effet, le Petit Verdot, cépage typiquement bordelais, autrefois délaissé en raison de sa maturité tardive, s'est fait ces dernières années une place au soleil à côté des Merlots et Cabernets. Si en 2000 on comptait 375 hectares de Petit Verdots plantés à Bordeaux, on en dénombre aujourd'hui plus de 2000.
Mais cette amélioration ne durera pas et Bernard Farges en est bien conscient. « Il y a dix ans, nous visions 12° à 13° pour les Merlots. Aujourd'hui, nous nous situons plutôt entre 14 et 15°. Dans dix ans, si nous ne faisons rien, ils iront forcément jusqu'à 16 ou 17°. Nous devons donc faire quelque chose si nous ne voulons pas perdre ce qui fait la typicité de nos vins ».
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Mais le vignoble bordelais, s'il est un des étendards du vin français, c'est aussi paquebot qu'on ne manoeuvre pas si facilement. C'est un véritable héritage que Bordeaux doit désormais défendre. Alors, comment s'y prendre ?
Le vignoble est d'ors et déjà entré dans une phase d'adaptation : « sans changer de technologie ou de réglementation, nous avons déjà des outils pratiques, pour se préparer, pour anticiper les effets du changement climatique » explique Bernard Farges.
En effet : on retarde la taille de la vigne ("plus tard on la taille, plus tard elle se développera » précise Cécile Ha), on effeuille moins (« on laisse les raisins à l'ombre, pour les laisser murir plus lentement »), on change l'orientation des rangs pour les exposer moins au soleil, on se dirige vers des parcelles parfois délaissées parce que moins bien exposées et donc moins rentables. On assiste aussi à un retour à la nature : l'herbe, garante de la biodiversité, fait son retour entre les rangs et des pratiques moins contraignantes pour la vigne deviennent la règle. « 65% du vignoble est couvert par une démarche environnementale et il compte pour un tiers des certifications HVE 3 (la plus haut degré de la certification Haute Valeur Environnementale du ministère de l'agriculture français, ndlr) du pays ».
Le changement climatique, ce sont des sécheresses mais aussi des gelées tardives. Les vignerons s'en défendent en alumant des feux dans les vignobles la nuit © DR/Shutterstock.com |
Toutes ces mesures risques pourtant de ne pas suffire. Alors, dans une démarche concertée à tous les échelons, le secteur à décidé d'aller plus loin. Notamment en ouvrant le cahiers de charges de l'appellation Bordeaux Supérieur (qui couvre toute la surface du vignoble) à 7 nouveaux cépages : l'Arinarnoa, le Castets, le Marselan et le Touriga Nacional (pour les rouges) et l'Alvarinho, la Liliorila et le Petit Manseng (pour les blancs). « Ce sont des cépages qui sont connus dans le sud de l'Europe : l'Espagne, l'Italie... » précise Cécile Ha.
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Mais attention pas question de tout chambouler, le vignoble est encore en phase de test : les vignerons ne pourront pas dépasser 5% en surface plantée et 10% de l'assemblage final. Alors, timide, ces avancées ? « Des micro-vinifactions ont déjà eu lieu bien sûr. C'est grâce a elles que nous avons pu identifier l'intérêt de ces cépages dans notre vignoble, mais cela restait à une échelle expérimentale. Avec ces taux, nous allons déjà pouvoir passer à la pratique et tirer de vrais enseignements » détaille Bernard Farges.
D'autant plus que, côté vignerons, l'intérêt est vif ! Certains sont même impatients de s'y mettre (il manque encore une ratification officielle et administrative de l'INAO - Institut national de l'origine et de la qualité). Des groupes de travail se sont constitués pour échanger les données sur ces nouvelles pratiques et tirer toute la région vers le haut.
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Tout le monde participe : grands crus classés et petites exploitations artisanales. C'est le vignoble entier qui se préoccupe de son avenir. Pour que Bordeaux reste toujours Bordeaux.
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