Martin Boonen
26 December 2024
Eventail.be – Quand et pourquoi la brasserie Bourogne de Flandre a-t-elle décidé de se lancer dans la production de whisky ?
Thomas Vandelanotte – La volonté de distiller remonte à une envie personnelle d’Anthony Martin, le propriétaire du groupe. Produire des spiritueux faisait partie des projets qu’il souhaitait concrétiser avant de prendre sa retraite. Il a commencé en 2017 à la brasserie de Waterloo (retrouvez ici l’interview d’Edward Martin, le distillateur de la micro-distillerie de Mont-St-Jean, à Waterloo). En 2021, nous avons poursuivi avec la distillation à Bruges, ici, chez Bourgogne des Flandres. Nous avons commencé par du genièvre. À cette époque, nous avons distillé du blé et de l’orge malté pour préparer les bases de nos whiskies. Aujourd’hui, après trois années de vieillissement en fûts de chêne américain ex-Bourbon, nos deux premiers whiskies – un single grain et un single malt – voient le jour. Nous avons choisi le malt pale ale pour sa richesse aromatique et son lien avec notre savoir-faire brassicole. Les deux whiskies, bien que distincts, partagent une caractéristique commune : des notes fruitées marquées dès la fermentation et tout au long du vieillissement.
Thomas Vandelanotte © Cliff Lucas Photo
– Pourquoi avoir commencé par le genièvre avant le whisky ?
– Le genièvre était un choix logique et symbolique. C’est un spiritueux directement lié à Bruges et à son histoire. Son identité s’inscrit dans le patrimoine des anciens Pays-Bas, dont faisaient partie la Flandre et une partie de la Wallonie. Ce lien historique nous a permis de créer un produit ancré dans notre région tout en préparant le terrain pour d’autres spiritueux, comme le whisky. De plus, la fabrication du genièvre a permis d’acquérir une expérience essentielle en matière de distillation et de fermentation spécifique aux spiritueux.
© Cliff Lucas Photo
– Votre expérience de brasseur a-t-elle influencé votre approche de la distillation ?
– Absolument. Il y a beaucoup de passerelles entre le brassage et la distillation. Par exemple, nous utilisons des malts pale ale, qui sont également présents dans nos bières. Nous n’avons pas distillé directement nos bières comme la Blonden Os ou la Bourgogne des Flandres, mais les bases sont similaires. De plus, nos cuves ouvertes, caractéristiques de notre brasserie, jouent un rôle essentiel dans la fermentation. Bien qu’elles soient ouvertes, elles se trouvent dans un environnement stérile et fermé. Cette configuration permet à nos levures sélectionnées de produire rapidement des arômes fruités prononcés, qui se retrouvent même dans le new make spirit avant vieillissement. Ce processus a donné au single malt des notes de poire et de pomme, tandis que le single grain présente en plus des nuances florales. Le choix de malts brassicoles plutôt que des malts spécifiquement conçus pour la distillation est également une décision forte. Cela nous permet de préserver un lien direct avec notre identité de brasseur tout en explorant de nouvelles voies aromatiques.
© Cliff Lucas Photo
– Comment avez-vous abordé le vieillissement en fûts, qui est un aspect crucial de la production de whisky ?
– Le vieillissement était une étape que nous abordions avec une certaine expérience. Depuis 2015, nous faisons vieillir certaines de nos bières en barriques, comme la Bourgogne des Flandre, qui est assemblée avec des lambics vieillis en fûts de chêne. Cela nous a permis de comprendre les interactions entre le bois et le liquide. Cependant, vieillir un whisky pendant trois ans ou plus est bien différent. Nous avons choisi de proposer uniquement des single casks, c’est-à-dire des whiskies issus de fûts uniques, sans assemblages ni finitions. Chaque recette est soigneusement étudiée pour correspondre aux caractéristiques d’un type de fût.
© Cliff Lucas Photo
– Quels sont vos projets futurs pour la distillerie ?
– Nous souhaitons continuer à innover en proposant des éditions limitées sous forme de small batches. Cela nous permettra d’expérimenter avec différentes céréales comme le seigle ou le petit épeautre, des malts tourbés ou torréfiés, et des levures spécifiques. Nous envisageons également de tester divers fûts : tempranillo, madère, vins de Bourgogne ou porto (tawny ou ruby), entre autres. Chaque combinaison offrira un profil unique. Nous voulons explorer tout le potentiel de notre savoir-faire et de notre terroir. Nous avons aussi l’ambition de transformer notre distillerie en un lieu d’expérimentation ouvert. Tout comme nous le faisons pour la brasserie avec nos bières éphémères, nous aimerions proposer des whiskies en éditions limitées, directement accessibles aux visiteurs.
– La question du terroir est moins directement pertinente quand on parle de spiritueux. Quelle importance accordez-vous à l’ancrage local de vos produits ?
– Il est fondamental. Notre bouteille de whisky, par exemple, reflète l’histoire de la brasserie et de Bruges : la tête de taureau – un clin d’œil au nom « Den Os » (“le bœuf”, ndlr) que portait la brasserie au moment de sa fondation par la famille Van Outryve – est entourée de motifs de dentelle, en hommage à l’artisanat brugeois, et le museau intègre une silhouette du beffroi de Bruges. Ces détails renforcent le lien entre nos whiskies et leur origine. Nous voulons que chaque bouteille raconte une histoire, non seulement celle de notre distillerie, mais aussi celle de la ville et de ses traditions.
© Cliff Lucas Photo
– Pensez-vous que cette initiative inspirera d’autres brasseurs en Belgique ?
– Oui, je le crois. La Belgique a une forte tradition brassicole, et de plus en plus de brasseurs s’intéressent à la distillation. Les liens entre bière et whisky sont évidents, et cette dynamique permettra d’enrichir les deux univers. Pour nous, chaque avancée dans le domaine du whisky apporte un nouvel éclairage sur notre métier de brasseur. C’est une aventure stimulante, et je suis convaincu que d’autres suivront (la brasserie Het Hanker, à Malines, produit déjà du whisky depuis plusieurs années, ndlr). La diversité des approches et des expérimentations renforcera la place de Belgique sur la scène internationale du whisky.
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