Le Panoramique : gastronomie à plus de 180°

Il est des restaurants à la situation extraordinaire qui se reposent sur celle-ci pour faire salle comble en proposant des menus aussi pauvres que chers. Fort heureusement, il n’est rien de tout cela au Panoramique, le restaurant gastronomique du Domaine de la Corniche, cet hôtel de charme au confort quatre étoiles dont nous vous parlions plus longuement ici.

Évidemment, la vue sur la campagne yvelinoise préservée et la Seine est somptueuse. N’attendez pas que le soleil soit couché pour vous attabler le long des larges baies vitrées du restaurant. Vous aurez ainsi la chance d’observer les ombres s’allonger sur la Seine et de voir la couleur du ciel prendre, doucement, des reflets dorés, pendant que le soleil se couche dans votre dos.

Une étoile en héritage

Cela dit, on ne vient pas au Panoramique seulement pour profiter de la vue. Le chef, Gaëtan Perulli n’est pas de ceux qui compte sur le paysage pour remplir sa salle. Arrivé derrière les pianos du Panoramique en 2019, le jeune chef, passé chez des pointures comme Yannick Aleno, Éric Fréchon ou Christian Le Squer, hérite de l’étoile au guide Michelin que vient de décrocher (en 2018) le chef démissionnaire (préférant se consacrer à sa famille) et ami à qui il succède Julien Razemon. Même quand ses standards sont ceux de restaurant trois étoiles, conserver un macaron si fraîchement acquis par un autre reste un sacré défi !

À la sortie du pénible épisode Covid, Gaëtan Pérulli prend ses responsabilités. Exit la carte permanente, place à un menu unique décliné en 3, 5 ou 7 services, renouvelé toutes les deux semaines. Le chef met l’accent sur la qualité des produits qu’il s’engage à respecter le plus possible. Le réinvention régulière du menu garantissant naturellement la saisonnalité des plats proposés. Cette autonomie par rapport au précédent chef est reconnue par le guide rouge qui maintient à Gaëtan Pérulli la même confiance qu’il avait accordé à son prédécesseur. Mais ne mérite-t-il pas un peu mieux encore ? Nous verrons…

La maître d’hôtel accueille ses convives en plaçant le curseur du professionnalisme au meilleur endroit : pile entre l’élégance classique d’un endroit de ce niveau et une proximité chaleureuse.

Nous optons pour la formule en cinq services. Le plus souvent, le menu énonce les plats en mentionnant en premier lieu un élément végétal. Les viandes et poissons se voyant alors rejetés en fin de formule. Le restaurant ne se revendiquant pas particulièrement d’une cuisine végétale, ce choix dans les énoncés dit quand même quelque chose des ambitions du chef.

Le sens de l’équilibre

Après les mises-en-bouche, nous commençons donc par la pêche blanche, gel de verveine et grosses gambas. Le dressage est magnifique. Les couleurs pastels et les textures brillantes des condiments et des crustacés harmonieusement disposés au centre de l’assiette ouvrent immédiatement l’appétit. La combinaison des agrumes et de la verveine confère à l’assiette un côté à la fois frais et gourmand. Surtout, la cuisson des gambasses est impressionnante de maîtrise. Les assaisonnements sont tempérés : justes et précis.

La suite est l’une des spécialités de Gaëtan Pérulli : une huître juste raidie. Ce petit coup de cuisson lui donne une mâche, un peu plus ferme, différente de celle que l’on connaît des huîtres crues que l’on a l’habitude de consommer. Elle est accompagnée d’une crème de cresson, très végétale, et d’une sauce Champagne, franchement gourmande. L’une est l’autre adoucissent alors le côté iodée de l’huître.

Après ces deux entrées, vient alors le plat principal : panais, en mousseline et poêlé, poitrine confite et ris de veau cuit au sautoir. Si les entrées jouaient sur la douceur et le délicat assemblage des saveurs, le plat évolue dans un registre plus franc. Les goûts sont plus corsés, plus prononcés, plus réduits, plus intenses. La cuisson et l’assaisonnement du ris de veau est simplement formidable, les petits dés de panais rôtis apportent une texture supplémentaire à celle de la mousseline.

Du salé au sucré : la même attention

Le fromage fut un moment particulièrement intéressant. En lieu et place du plateau traditionnel, le chef propose une composition sucrée-salée, à mi-chemin entre le plat et le dessert, très cuisinée. Il s’agit d’une figue de Solliès compotée et fraîche, crème de chèvre frais. Il y a donc un travail sur le fruit, et sur le fromage. L’adjonction de crème au fromage de chèvre lui donne une structure très aérienne sans compromettre sa fraîcheur. L’ensemble est servi dans une fine tartelette pour donner à la composition un peu de croquant.

Dans les deux desserts proposés dans le menu, le chef nous rappelle, avec beaucoup de brio, l’importance d’assaisonner correctement même les plats sucrés. La pointe de sel du premier (myrtilles compotées, alliées aux groseilles marinées, burrata à l’huile d’olive et citron vert), ou bien celle de poivre du second (Guanaja grand cru en crémeux allié aux baies des cîmes, streusel cacao, sorbet cacao, gel et bouillon Lapsang Souchong) confirment que pour avoir le même relief, la même profondeur que tous les autres plats du menu, ils doivent être aussi correctement assaisonnés qu’eux. Quand c’est le cas, comme ici, au Panoramique, quand ils jouent sur les acidités, les amertumes, alors ils cessent de n’être que des petites touches sucrées en fin de repas avant de passer au café, mais prennent véritablement une place crédible et tangible dans la composition logique du menu.

Si, jusqu’au panais, tout nous semblait parfaitement mériter le rang dont peuvent se prévaloir Le Panoramique et son chef Gaëtan Perulli, la fin, au contraire, nous a fait douter. Ne méritent-ils pas un peu plus que ce 13,5/20 concédé par le Gault&Millau, ou l’unique étoile offerte par le guide Michelin ? Le travail engagé sur le pré-dessert et les desserts font, dans l’ensemble de la dégustation, une vraie différence en fin de repas, là où, trop souvent, la dernière note est bâclée par une préparation pas assez maîtrisée, ou trop attendue, ou simplement négligée parce que l’intérêt du chef est ailleurs qu’à cette touche finale qui pourtant, sera celle sur laquelle les convives quitteront la table autour de laquelle ils auront finalement passé toute la soirée. Gaëtan Perulli, lui, au contraire, ne relâche son effort qu’une fois le dernier coup de fourchette déposé dans l’assiette. C’est tout à son honneur.

D’une manière générale, sa cuisine est belle et élégante. C’est un modèle d’équilibre. ni trop carné, ni trop pescé, ni trop végétale. C’est ce qu’on attend de la gastronomie française de son temps : qu’elle soit le reflet de son époque, celle où l’on recherche la beauté de la simplicité, l’authenticité des saisons et des terroirs. Elle se fiche des modes, à qui elle préfère, comme Coco Chanel en son temps, le style. C’est une cuisine gastronomique qui sait être directe et complexe à la fois, qui marie les goûts sans les opposer. Qui ose parfois, se retient cependant quand il faut.