Martin Boonen
18 April 2025
Le long d’un boulevard anonyme, une petite porte d’un vert sauge questionne. Elle est accompagnée d’un bouton de sonnette en laiton autour duquel on peut lire dans une police d’écriture singeant volontairement Magritte : “Ceci n’est pas un restaurant”. Si on ne se savait pas attendu, on n’aurait peut-être pas osé le presser. On aurait eu tort : la table qui se trouve derrière mérite bien le déplacement, où que l’on soit en Belgique.
© LAF
C’est Katia Kulakova, l’épouse du chef et la maîtresse de maison (et également la sommelière) qui nous ouvre. Après nous avoir débarrassés, elle nous invite à découvrir la salle baignée d’une lumière printanière des Années Folles, le restaurant qu’elle tient avec Gino Lemmens, son mari.
Le chef Gino Lemmens et son épouse, la cheffe de salle Katia Kulakova © LAF
Le ton du plancher et la couleur des murs sont doux, la décoration minimaliste et délicate. Malgré tout, l’endroit est chaleureux.
Avant de nous passer le menu, Katia arrive avec un joli chariot pour l’apéritif. C’est donc devant les clients que la cheffe de salle réalise les jolis cocktails maison. Si, techniquement, un cocktail n’est pas meilleur s’il est préparé aux yeux de tous en salle ou caché derrière un comptoir, nous saluons la volonté de faire vivre les usages du service à table des grandes maisons. Cet héritage malheureusement trop souvent perçu comme désuet a l’immense avantage d’amener un peu de la magie de la cuisine aux invités, eux qui en sont si souvent tenus éloignés, et de mettre en avant les qualités techniques du personnel. Mats ou brillants, les cocktails des Années Folles ont de jolies couleurs et de belles textures. Ce sont des modèles d’équilibre qui ne tombent pourtant ni dans la facilité, ni dans l’ennui. À ce moment-là, nous ne le savons pas encore, mais ils sont à l’image de la cuisine de la maison.
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Orchestrée par le chef Gino Lemmens, celle-ci propose une interprétation contemporaine de la tradition franco-belge. En témoigne le plat signature de la maison : les Saint-Jacques poêlées accompagnées d’une sauce à la queue de bœuf et de scorsonères (un cousin du salsifi) al dente. Si vous avez pris la peine de signaler préalablement d’éventuelles allergies alimentaires ou un régime particulier, laissez-vous tenter par le menu surprise (proposé de 3 à 6 services), qui laisse libre cours à l’humeur quotidienne du chef.
Le jour de notre visite, nous avions donc commencé par des coquilles Saint-Jacques, noix de coco, coques et nachi (ou nashi, une poire japonaise). Dressée sous la forme d’une impressionnante rose, cette assiette aurait pu être un peu caricaturale des assiettes prétendument gastronomiques. Il n’en était finalement rien. Le chef prouve ici qu’il n’en fait jamais trop et nous servant un plat tout en fraîcheur, sur la corde de la salinité, de la douceur et de la suavité.
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Est arrivée ensuite une très jolie morille, bien de saison en ce début de printemps. Le beau champignon était présenté entier parce qu’il renfermait une farce fine à l’ail des ours (très printanier, lui aussi) accompagné d’une sauce Noilly Prat (un excellent vermouth français) fève, artichaut et asperges vertes. Une composition qui nous ramène inévitablement dans les sous-bois à cette période de l’année : textures tendres et fraîches du champignon et de la farce, et puis le côté végétal très frais de l’ail des ours et du vermouth.
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À ce stade-ci, on commence déjà à percevoir la botte secrète de Gino Lemmens : une utilisation audacieuse, mais très fine de l’assaisonnement, notamment grâce à des éléments végétaux et des épices étonnantes. Il ne s’en cache d’ailleurs pas : « Chaque saveur doit contribuer à l’ensemble, et les herbes aromatiques m’aident à ajouter un élément de surprise. J’utilise également les épices pour donner une nouvelle dimension aux plats. Ce ne sont pas des éléments décoratifs, mais une extension du plat. Chacune ajoute une touche de sophistication supplémentaire, créant une distinction entre le bon et le mémorable. »
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L’illustration la plus éclatante de ce parti pris vient avec le plat suivant : de jolis morceaux de lotte grillée, accompagnés de potiron, d’argousier et de jus de langoustines. Le dressage est superbe : la blancheur nacrée d’un poisson parfaitement cuit tranche avec les tons flamboyants des accompagnements. Mais surtout, l’emploi d’une huile pimentée dans de très justes proportions permet d’apporter en bouche une forme de chaleur qui donne au plat une autre dimension. La mâche délicate de la lotte, l’onctuosité du potiron, l’iode du jus de langoustine, le tout relevé par cette touche d’épice brûlante… Voilà, elle est là, la “distinction entre le bon et le mémorable”. Quelle démonstration !
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La suite, peut-être moins spectaculaire, n’en demeure pas moins intéressante et brillante. La cuisson du pigeon fumé au foin, accompagné de radicchio, d’une compote d’oignons rouges, de raisin et de noix, est absolument superbe et ne supporte aucune critique.
L’agrume gelé du dessert et sa meringue brûlée au chalumeau ne nous ont pas laissé sur notre faim non plus (ce qui arrive trop souvent dans ces restaurants gastronomiques, impeccables sur les premiers services et qui se prennent finalement les pieds dans le tapis au moment de conclure).
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Que ce soit dans son inspiration culinaire ou le service en salle, on pourrait penser que Les Années Folles se complaisent dans la nostalgie des établissements bourgeois en nappes blanches des grandes années de la cuisine franco-belges… La vérité est à l’image de la pratique du chef Gino Lemmens et de la compétence de son épouse en salle, Katia Kulakova : bien plus subtile. Assaisonnements, compositions, associations et techniques sont belles et bien de notre époque ! Et si la sonnette avait finalement raison ? Les Années Folles ne sont peut-être pas un restaurant, c’est un excellent restaurant !
Restaurant
Les Années Folles
Adresse
Rue Général Leman, 31
2018 Anvers
Réservations
Sur internet
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