Martin Boonen
05 January 2024
Il y a, dans l’univers de la restauration, particulièrement la restauration gastronomique, une frontière quasi-infranchissable pour le commun des clients. Elle sépare l’atmosphère feutrée de la salle à celle, bouillante, des cuisines. Depuis plusieurs années, de nombreux chefs jouent avec cette frontière. Parfois, ils donnent l’impression de la dématérialiser en l’ouvrant partiellement sur la salle. Les clients pouvant alors observer, toujours à distance respectable, les artistes au travail, en s’imaginant alors toucher, du bout des doigts, à l’intimité du Saint des saints.
Le chef Maxime Colin devant le prieuré qui accueil le restaurant qui porte son nom © Morgane Ball Photography
D’autres chefs vont encore plus loin quand ils réservent à une poignée de privilégiés, le temps du dessert, quand l’effervescence du coup de feu est retombée, quand le rideau est déjà presque baissé, une table dressée dans la cuisine. Si ce traitement de faveur à tout d’une grâce, il faut bien reconnaître que souvent, à ce moment-là de la soirée, la messe est dite et la cuisine ne révèle alors presque plus aucun de ses secrets qu’elle protège jalousement.
Le chef Maxime Colin a, lui, choisi une autre voie, pour tenter de détricoter cette frontière, tantôt physique, tantôt symbolique, entre la cuisine et la salle. Au lendemain des confinements de la pandémie de Covid-19, le chef rouvre son restaurant avec l’enthousiasme de ceux qui patientent depuis trop longtemps. Avec bonheur, la clientèle suit et se presse devant les portes du joli presbytère du XVIIe siècle qui abrite l’établissement qui porte fièrement le nom de son chef. En revanche, le personnel, surtout celui qui opère en salle, ne revient pas, ou pas assez. Maxime Collin se trouve bien en peine d’offrir à sa clientèle le niveau de service qu’il est en droit d’attendre d’une maison de bouche de son niveau.
© DR
Lassé de courir après le monde, il prend, en concertation avec son équipe, une décision radicale : le personnel de cuisine va lui-même apporter aux clients en salle ses préparations. Ce n’est donc plus le client qui va, par des regards curieux, tenter d’épier ce qui se passe derrière le passe-plat, mais le cuisinier qui va venir à la rencontre de ceux qui dégustent sa cuisine. Puisque nous ne pouvions aller à Lagardère, c’est Lagardère qui vient à nous !
Si cette mesure est évidemment une rustine, essentiellement là pour pallier au manque cruel et récurrent de serveur, il faut admettre qu’elle enchante réellement le moment passé chez Maxime Colin. Le soir de notre visite, nous avons donc eu droit à échanger quelques mots avec les 1er et 2e chef de partie, le saucier, le pâtissier… Il ne s’agit pas ici de cette rencontre avec le grand chef qui passe entre les tables récolter doléances et louanges en fin de soirée, mais d’une véritable proximité avec l’artisan derrière l’assiette. Cette série de rencontres incarne le menu, humanise et grandit la cuisine du chef Maxime Colin. Quel plaisir, quel bonheur de les entendre raconter ce coup de chalumeau sur des saint-jacques somptueusement marbrées d’un vert profond, accompagnées de spiruline, d’une crème de brocolis et d’un vinaigre dashi, dire le soin apporté à la délicatesse de cette émulsion bisquée qui enrobe cette queue de langoustine normande, d’expliquer la cuisson, si parfaite, de cet œuf cuit à 64.5° à l’émulsion au foie gras et à la truffe blanche d’Alba, de partager avec eux la brillance et la profondeur gustative de ce jus de rôti nappant ces noisettes de chevreuil servies avec carottes Chantenay, pamplemousses confits et café, de contempler ensemble, les couleurs vives et terriblement appétantes du croustillant et crémeux au safran, poires caramélisées et sorbet kalamansi servi en dessert.
© Morgane Ball Photography
Ces petits échanges ont tous rehaussé notre plaisir de dégustation. Tout au long du repas, nos papilles ont été chatouillées, caressées, interrogées, rassurées. La cuisine de Maxime Colin évolue sur un fil : celui du plaisir. Elle ne se soucie que de ce qui est beau et bon, sans oublier d’étonner et de surprendre.
À ce sujet, il faut dire un mot – et un sérieux – sur le travail de la sommelière, Stéphanie Pierre (elle joue aussi, avec brio et bonheur, le rôle de maître d’hôtel). Il arrive que, même dans de grandes maisons gastronomiques, le désormais incontournable accord mets-vins, joue la facilité. Par peur de déranger les goûts, par confort, par envie de flatter les égos avec des grandes étiquettes, peut-être même par paresse parfois. La sélection, méticuleuse, des vins de Stéphanie Pierre n’a qu’un seul but : emmener les plats de Maxime Colin encore plus loin. Et si les vins choisis apportent tous au plaisir de l’assiette, il arrive aussi que le plat éclaire d’un coup le vin. Comme si l’un ne pouvait plus exister sans l’autre. Chez Maxime Colin et Stéphanie Pierre, les vins et les plats ne s’accordent pas : ils s’épousent.
© Morgane Ball Photography
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À ce titre, l’exemple le plus frappant fut le dessert. Un croustillant et crémeux au safran, poires caramélisées et sorbet kalamansi (un petit agrume emblématique des Philippines, issu, probablement, du croisement de mandariniers et de kumquats, exprimant les différentes nuances d’acidité, ndlr) comme on l’a dit, servi avec un verre de tokaj, la cuvée Szamorodni, millésime 2018, de la maison Gizella. L’accord était si parfait qu’il nous a donné l’impression que le dessert, d’un coup, tenait dans notre verre. Bluffant.
Évidemment, comme nous le confiait le chef à l’issue de notre dîner, ce fantastique aller-retour entre la cuisine et la salle a demandé à l’équipe une réorganisation et une nouvelle rigueur. Imaginez ce client tenant la jambe du second de cuisine alors que ce dernier, à laissé sur son piano, le temps d’apporter une assiette en salle, sa meilleure pièce de viande, son plus beau morceau de poisson. La situation peut amener un stress supplémentaire et bien inutile. Mais, tout le monde, staff et client, semble apprécier la richesse de ces échanges, et l’équipe a appris, tout en restant très accessible et polie, à ne jamais oublier que sa première responsabilité demeure en cuisine.
© Morgane Ball Photography
Ce nouveau mode de fonctionnement, en rapprochant la cuisine de la salle, humanise une cuisine gastronomique trop souvent cantonnée à son aspect purement gustatif ou technique, sans rien sacrifier à l’exigence de qualité. Des grands restaurants avec des cuisiniers qui descendent de leur tour d’ivoire, fonctionnant avec moins de personnel mais avec plus d’humanité… Assiste-t-on à l’apparition d’une nouvelle donne dans l’univers de la gastronomie ?
Photo de couverture : © Morgane Ball Photography
Restaurant
Maxime Colin
Adresse
Pastoorkesweg 1-4
1950 Kraainem
Réservations
Sur internet
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