Corinne Le Brun
09 June 2021
Suze (Virginie Efira), une coiffeuse atteinte d'une maladie incurable veut utiliser le temps qui lui reste à vivre pour retrouver l'enfant dont elle avait, adolescente, accouché sous X. JB (Albert Dupontel) un fonctionnaire dépressif décide de se suicider après s'être vu privé de manière humiliante d'un poste qu'il pensait décrocher. Ces deux solitudes vont soudain se télescoper: Suze, venue faire sa demande de recherche, se retrouve mêlée bien malgré elle au désarroi de JB...Les voilà embarqués dans une course folle au cœur de l'absurdie. Adieu les Cons a reçu sept César en février dont un, pour la réalisation. Le grand gagnant des César s'était confié au Festival du Film Francophone de Namur1.
Eventail.be - Les personnages sont perdus dans un monde informatisé. Votre façon de dénoncer la société dans laquelle que nous vivons ?
Albert Dupontel - Je ne fais pas de film pour délivrer des messages. Si tant est qu'il y en a un, c'est celui de la difficulté de s'aimer dans un monde répressif et anxiogène. Il y a vingt-cinq ans, Bernie racontait l'histoire d'un fou. C'est vous, c'est moi, des gens totalement identifiables, perdus, des archétypes que je connais bien. « Je t'aime » est la chose la plus difficile à dire, la seule qui donne un sens à l'existence comme disait Chaplin. Ce monde est informatisé, où on ne se connaît pas. La difficulté de communiquer est ancestrale. Les deux timides d'Eugène Labiche raconte cela. On est dans la fable, dans le burlesque.
- Comment parler d'amour dans une comédie complètement déjantée ?
- J'aime le cinéma sensuel, extraverti dans lequel les choses s'expriment avec la caméra, le son, la lumière. J'ai étudié et adoré le cinéma des années 80,Terry Gilliam, les frères Coen, Bertrand Blier mais aussi Mikhail Kalatozov, Andrei Tarkovski. Je tiens au formalisme. Le détour que les cinéastes prennent pour me raconter une histoire me plaît beaucoup en tant que spectateur. C'est normal que je prenne aussi ce biais-là quand je raconte des histoires. Il n'y a pas d'ambition commerciale, je cherche juste à vous distraire. La caméra est un outil magnifique, une façon élégante de s'exprimer, Quand Terry Gilliam l'utilise, il dit n'avoir rien fait. C'est un grand dessinateur, qui a une vision. En regardant Brazil, je vois très bien ce qu'il veut me raconter. En même temps, il y a de la beauté partout. Quand on est autodidacte, ce que je suis, on essaie de combler par de la culture, on a une envie très forte.
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- Terry Gilliam apparaît dans Adieu les Cons. Comment l'avez-vous rencontré ?
- Je le connais depuis très longtemps. J'ai d'abord rencontré d'abord Terry Jones (à qui est dédié le film, ndlr) dans une soirée parisienne il y a vingt ans. J'avais l'impression d'être face à John Lennon. À propos de Bernie, il me dit « j'ai vu ton film, c'est super, mais je n'ai pas été jusqu'au bout ». Puis j'ai reçu une lettre de lui que j'ai gardée dans mon musée personnel. À Londres, lors de la projection de mon deuxième long métrage Le créateur, Terry Jones m'a présenté son copain Terry Gilliam. Un vrai choc pour moi. On s'est revus dans 9 mois ferme. Il revient dans Adieu les Cons. « Ton histoire est aussi improbable que la réalité, je viens te faire un petit coucou ». Et quand il a vu le film, il a ajouté : « Je te déteste. »
- Vous n'avez jamais réalisé un film sans y jouer comme acteur...
- Toutes mes idoles, Woody Allen, Sacha Guitry, sont des personnes assez autarciques. Mon rôle dans Au revoir là-haut devait au départ être tenu par Bouli (Lanners). Quand il m'a planté, j'ai finalement repris le rôle. Cumuler les deux est fatiguant. Mais on se rapproche des acteurs, on transpire avec eux, on se renvoie la balle, on est complices. Dans le prochain, je ne jouerai pas (Second tour, ndlr).
La comédienne belge Virginie Efira au coté d'Albert Duponter : "Face à la caméra, elle (Virginie Efira) est sexy, populaire, émouvante. Elle était la bonne personne pour ce rôle-là. Partout où elle passe, des fleurs poussent." © DR |
- La scène d'ouverture réunit Virginie Efira et Bouli Lanners. Les acteurs belges vous inspirent ?
- J'ai tenté deux fois avec un autre acteur, mais ça ne fonctionnait pas. J'ai appelé Bouli en urgence et j'ai réécrit la scène pour lui. Je lui ai donné le texte et en deux heures de temps, il excellait avec ce dialogue. Bouli, c'est un acteur vraiment formidable. Il est avec moi depuis très longtemps, il était dans Enfermés dehors, dans 9 mois ferme. J'ai joué dans son film Les premiers, les derniers. Virginie (Efira) rend la scène d'ouverture très comestible. Face à la caméra, elle est sexy, populaire, émouvante. Elle était la bonne personne pour ce rôle-là. Partout où elle passe, des fleurs poussent.
- Vous avez toujours refusé de recevoir les César2. Pourquoi ?
- Je ne les ai pas refusés, je n'y suis pas allé. Henri Laborit a dit « La compétition se fout de l'intelligence ». J'essaie d'être intelligent. Je ne crache pas sur les gens qui vont chercher le trophée. Mais ce n'est pas mon histoire. M'exprimer clairement est compliqué pour moi. Je suis un être confus et émotif. Une fois que le film est fait, je n'ai plus grand-chose à dire. Dès l'école, on préempte notre goût, notre formation, je n'aime pas ça. Je ne veux pas me prêter à ce jeu-là. Etre artiste, c'est élever un peu son niveau de conscience. Je ne suis pas bien haut.
- Après avoir adapté Au revoir là-haut, le roman de Pierre Lemaître, vous passez à nouveau à l'écriture du scénario. Un plaisir qui vous manquait ?
- J'ai parfaitement conscience d'être un auteur limité et redondant. Quand mon père a vu Bernie, il ne comprenait pas. Pourtant, j'étais bien éduqué et aimé. Cette névrose-là me touche beaucoup. J'ai le sentiment que mes déviances d'adulte viennent des carences pédagogiques et affectives que j'ai reçues. Mes parents ont grandi pendant la seconde guerre mondiale. Il y avait forcément un décalage avec ce que je vivais, moi, dans les années 70, la drogue, le sexe... J'ai des mômes et je vois bien que je suis un peu désuet. Aimer c'est éduquer avec des principes. Il y a une carence affective qui se perpétue. Finalement, nos parents ont fait ce qu'ils ont pu et ce sont de braves gens. Mais à l'adolescence c'est compliqué et l'école n'arrange rien. L'enfant est un génie: il apprend à marcher tout seul. J'ai des mauvais souvenirs de l'école. Les gosses sont juste brillants pas forcément intelligents. Je raisonne en fonction de ça. Les personnages à la marge m'intéressent beaucoup. Je crois plus à l'individu qu'à la masse. Je suis plus du côté de Proudhon que de Marx. Dans la crise actuelle, je pense que les individus vont se réveiller. Le grand auteur Simenon raconte beaucoup la vie des petites gens. Ses histoires ne sont pas tristes mais romantiques. « ll n'y a pas de grandeur sans tristesse », cette phrase de Maurice Ravel trône sur mon bureau. Un romancier a besoin de la tragédie pour rebondir tout au long de l'écriture. Il rend claires les pensées confuses.
1 : Le Bayard de la Meilleure interprétation a été attribué à Virginie Efira et le Prix du Public Long Métrage de fiction, à Adieu les Cons
2 : César de la Meilleure réalisation, de la Meilleure adaptation pour Au revoir là-haut (2018) ; César du Meilleur scénario original pour 9 mois ferme (2014)
Youpie les salles de cinéma rouvrent ce mercredi 9 juin. La programmation est riche et variée, avec 400 films en attente ! 25 inaugurent la réouverture des salles (avec jauges). De quoi se rincer l'œil devant le grand écran qui retrouvent des couleurs. Au programme dès ce mercredi: ADN de Maïwenn, avec Maïwenn, Omar Marwan, Fanny Ardant, Marine Vacth et Louis Garrel ; Nomaland de Chloé Zhao, avec Frances McDormand, David Strathairn...(Lion d'Or et 3 Oscars) ; Miss de Ruben Alves, avec Alexandre Wetter et Isabelle Nanty ; Drunk de Thomas Vinterberg, avec Madds Mikkelsen (César et Oscar du meilleur film étranger) ...
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