Corinne Le Brun
09 March 2022
Il va enfin présenter son ami lors de l’anniversaire de sa mère. Dans ce décor bienveillant, la fuite de Brahim est le déclencheur… de la bombe humaine qui se prépare. Nabil Ben Yadir parvient à filmer l’immontrable. À mettre des images sur cette ultra violence incompréhensible. Il s’agit d’une histoire vraie. Il y a, pour le réalisateur, une utilité à montrer cette mise à mort dans ses détails les plus sordides, tous plus insupportables les uns que les autres. Si clivant soit-il, Animals nous prend aux tripes. On voudrait tellement tout faire pour Brahim, pour le sauver de ces quatre monstres que sont ces jeunes en furie.
Eventail.be – Quel est le point de départ d’Animals ?
Nabil Ben Yadir – J’ai pris connaissance de ce crime homophobe à travers un article de presse. Je ne me suis pas inspiré du livre du papa d’Ihsane (Ihsane Jarfi : Le Couloir Du Deuil, Hassan Jarfi, Ed Luc Pire, 2013, Ndlr) (1). J’ai assisté au procès. Ce procès m’a dit qu’il fallait faire un film. Dès le départ, le sujet était lourd à porter.
– Qu’apporte une fiction à un fait divers, à la réalité ?
– La réalité n’est plus là, elle est terminée. L’histoire est finie. Le cinéma permet de lui redonner vie, de la faire exister et qu’elle soit gravée. Les images restent. Les seules personnes témoins du massacre sont des meurtriers. On les visualise, on les marque et, par là, ils existent. Si un film n’existe pas, un fait divers ne laisse que des mots, des souvenirs. Même s’il choque, un souvenir s’oublie très vite. Avec le film, la mémoire infuse, s’anime. Le cinéma est un médium rassembleur. Tout le monde a déjà vu un film. Tout le monde n’a pas lu un livre, ni un fait divers.
© DR
– Pourquoi avez-vous choisi l’option ultraviolente ?
– C’était le choix dès le départ. Le plus important c’est que le spectateur comprenne ce qu’est une mise à mort. Il faut la vivre sinon on ne peut pas s’imaginer ce que la victime a vécu. Je pense qu’il y a des histoires qui méritent d’être racontées. L’émotion que vous avez après vu le film, je l’ai ressentie plus de cent fois. C’est très dur à porter mais c’est très intéressant de faire un film qui crée une émotion pareille qui peut diviser certes mais qui suscite un débat. C’est une violence hyper réaliste, pas du tout esthétisante. C’est du cinéma réaliste. J’espère beaucoup que les jeunes iront voir le film.
– Vous évoquez aussi un crime raciste. Pourquoi ?
– C’était la première fois que je lisais un fait divers sur la mort d’une victime portant un nom de consonance étrangère, sans qu’on dise que c’était un crime raciste. Un crime homophobe, un crime raciste, c’est tuer quelqu’un parce qu’il est différent. Les meurtriers, sauf un, n’ont aucun rapport avec la religion musulmane. C’est au-delà de ça. Brahim porte deux identités: son origine et sa sexualité. Est-il arabe avant d’être homosexuel ou homosexuel avant d’être arabe ? C’est un film qui parle d’identité.
© DR
– Comment expliquer une violence aussi barbare ?
– La violence commence par l’absence des mots. Le manque de vocabulaire crée de la violence. Le monde est hyper violent. Filmer avec le GSM, être fier de ce qu’on fait, poster sur les réseaux sociaux accentuent la violence. Comment on peut arriver à exécuter quelqu’un, le laisser pour mort et faire ça dans une banalité la plus déconcertante ? L’alcool ? L’effet de groupe ? Brahim est la personne arrivée au mauvais endroit au mauvais moment. Il a fait une mauvaise rencontre, fatale. Le film a été tourné il y a deux ans et demi, la société ne va pas mieux. Le monde s’est arrêté pendant deux ans, la violence s’est accentuée. Les gens ne se supportent plus. Ils ont appris à ne plus voir l‘autre. C’est un peu la jungle dehors.
– Vous avez écrit le scénario avec le réalisateur belge Antoine Cuypers
– Antoine est un très grand réalisateur. J’ai adoré son premier film Préjudice (2015). Il fait aussi un cinéma radical. On s’est tout de suite entendu. Travailler le scénario avec lui était un vrai accompagnement. J’ai toujours travaillé en tandem. Le cinéma, c’est un sport collectif.
– On assiste à une mise à mort pendant 11 minutes…
– La question de la représentation de la violence s’est posée. À l’écriture, on a eu l’idée que les comédiens qui ne sont pas professionnels filment eux-mêmes avec leur smartphone. Tout était réglé et préparé sans quoi il y aurait des blessés. D’où ce côté hyper réaliste qui donne cette impression d’avoir pris ces images sur Internet. Quand on filme avec un smartphone, il y a une inconscience. Une euphorie, au point d’en oublier les conséquences. Une jubilation de vouloir être tellement là, de se montrer plus que de montrer la violence. Tout est amplifié. On poste sur les réseaux sociaux. C’est débile, la police peut retrouver les auteurs.
(1) : Hassan Jarfi a créé la Fondation Ihsane Jarfi qui lutte contre les discriminations et l’homophobie : www.fondation-ihsane-jarfi.be
Film
Animals
De
Nabil Ben Yadir
Avec
Soufiane Chilah, Gianni Guettaf, Serkan Sancak, Vincent Overath, Lionel Maisin
Sortie
Mercredi 9 mars 2022
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