Rédaction
16 February 2017
Chaque grand festival a ses abonnés. Je me souviens d'avoir découvert ici il y a un quart de siècle les premiers longs métrages d'Aki Kaurismäki. Depuis lors, le réalisateur finlandais est revenu bien souvent au bord de la Spree, emmenant parfois avec lui son orchestre Leningrad Cowboys, qu'il appelait lui-même « le plus mauvais groupe de rock de la planète » (les concerts se terminaient généralement dans un état d'ébriété avancée). Cette année, Kaurismäki reste fidèle, avec The Other Side of Hope (L'autre côté de l'espoir), à son système de production : film à petit budget, acteurs locaux, mise en scène minimaliste dont l'élégance va de pair avec la simplicité. La seule différence est que pour la première fois il a introduit dans son scénario un élément étranger : un des deux protagonistes est un demandeur d'asile syrien qui débarque à Helsinki comme passager clandestin et s'efforce d'échapper aux contrôles policiers. L'autre anti-héros (car pour l'auteur de La Vie de Bohème il n'y a jamais de personnages triomphants) est un ex-voyageur de commerce reconverti – avec des succès variables - dans la restauration.
Sherwan Haji, Nuppu Koivu, Janne Hyytiäinen, Sakari Kuosmanen, Ilkka Koivula, Malla Hukkanen dans The Other Side of Hope de Aki Kaurismäki © Sputnik Oy |
Les destins des deux hommes ne se rejoignent qu'après 40 minutes. Et, paradoxalement, ces sans-grade qui évoluent plus ou moins en marge de la société (réfugiés syriens ou irakiens, employés besogneux du restaurant) finissent par former une sorte de communauté où – comme dans le magnifique Homme sans passé (2002) – on s'entr'aide sans faire de discours, simplement par respect de l'autre. Il y a dans tous les films de Kaurismäki une vertu que faute de mieux on appellera l'humanité, et que je trouve bien rare aujourd'hui à l'écran. J'ajoute que le cinéaste arrive à éviter tous les pièges qui surgissent quand on aborde en ce moment le sujet des réfugiés : le traitement purement documentaire, la sentimentalité, le prêchi-prêcha politico-social, la dénonciation des procédures d'accueil. Et finalement, il y cette drôlerie constante dans les situations et les dialogues, un humour pince-sans-rire et flegmatique qui illumine toute la filmographie de Kaurismäki. Puisse-t-il revisiter encore longtemps la Berlinale !
© Zeroonefilm |
Cette année, le Festival a salué à deux reprises un artiste du 20e siècle. Dans Final Portrait, Stanley Tucci évoque les séances interminables infligées à un jeune Américain qui avait imprudemment consenti à poser pour Giacometti (chronique à retrouver dans l'épisode II des carnets de visionnage berlinois ici). Beuys, en revanche, est un documentaire consacré, trente ans après sa mort, au plus célèbre provocateur de l'après-guerre. Le cinéaste allemand Andres Veiel a épluché une montagne de documents, la plus part inédits (interviews, reportages, photos, bandes vidéo), pour retracer l'itinéraire d'un homme qui de son vivant était déjà devenu une légende. Beuys – comme Warhol – avait compris qu'à une époque médiatique il faut s'inventer un personnage (les accessoires emblématique étant, dans son cas, l'éternel chapeau et le gilet aux multiples poches). Mais le mérite du film est d'aller au-delà de certains clichés pour explorer la personnalité complexe de celui qui passait tantôt pour un génie, tantôt pour un mystificateur.
© Zeroonefilm |
On revoit ici des étapes décisives. Par exemple la véritable secousse sismique provoquée par l'éviction de Beuys de son poste de professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf (la police locale est même appelée en renfort !). Ou la mémorable cohabitation, dans l'espace clos d'une galerie new-yorkaise, de l'artiste enveloppé de feutre avec un coyote. Visionnaire, Beuys a plus d'une fois devancé des mouvements sociétaux. Il a plaidé pour un revenu universel bien avant un certain Benoît Hamon. Il a rejoint en Allemagne le parti des Grünen, avant d'en être éjecté plus tard pour de misérables raisons électorales. Et surtout, il n'a cessé de répéter - en héritier lointain, à mon avis, de Marcel Duchamp – que l'art n'était pas autonome et qu'à la limite tout le monde pouvait être artiste. Contrairement à ce que certains imaginent – et le film montre bien cet aspect – l'homme qui, au lieu d'exposer une œuvre planta 7000 chênes à la Documenta de Kassel, avait aussi un énorme sens de l'humour. N'a-t-il pas répondu à ceux qui voyaient en lui un doctrinaire prisonnier du sérieux allemand : « Je ne crois pas à une révolution d'où le rire serait absent ».
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