Corinne Le Brun
14 May 2018
La question a agité la Croisette pendant plusieurs jours. Viendra ou ne viendra pas ? Volontairement absent du tapis rouge (contrairement à Panahi et Sebrennikov), Jean-Luc Godard en lice pour la Palme d'Or avec Le Livre d'Image a évidemment fait salle comble. Très attendu, son nouvel opus est hermétique à souhait, à l'image de ses derniers films. Un montage de photographies, d'extraits de films ultra brefs qu'on peine à reconnaître... Un jeu d'images et de sons que le cinéaste de 87 ans puise et projette dans notre imaginaire. À prendre ou à laisser...
Leto (L'été) du réalisateur russe Kyrill Sebrennikov, assigné à résidence à Moscou, est une belle surprise historico-poétique. Dans le Leningrad du mitan des années 80, Mike Naumenko, une gloire locale, rocker déjà légendaire, rencontre Viktor Tsoï, la petite vingtaine. Celui-ci chante des airs de folk que Mike va réarranger dans la veine des Lou Reed, Talking Heads et autres groupes underground de l'ouest, « ennemis » de l'Etat soviétique. Bien qu'amoureux de la même femme (formidable Irina Starshenbaum), Mike et Viktor s'entraident pour jusqu'au bout pour contourner la censure et le blocus culturel. En dépit de quelques longueurs musicales, Leto, est notre premier vrai coup de cœur.
Il est l'autre grand absent du Festival. Assigné à résidence par les autorités iraniennes, le cinéaste Jafar Panahi a dû laisser à ses enfants et à ses actrices le soin de présenter son dernier film 3 Faces (Trois visages), en lice pour la palme d'or. Jafar Panahi et Behnaz Jafari jouent leur propre rôle. Behnaz reçoit une troublante vidéo montrant le suicide de Marziyeh..une jeune villageoise rêvant de devenir actrice alors que sa famille s'y oppose.
Behnaz Jafari et Marzihey Rezaei © Mehdi Chebil Polaris Photo News |
Behnaz Jafari et Jafar Panahi décident de retrouver la trace de la jeune fille. Ils nous invitent à un road-trip au cœur de la rocailleuse campagne iranienne, très loin de Téhéran. Avec eux, on découvre la vie villageoise: une ancienne star de cinéma bannie, l'honneur et les traditions jamais perdus, l'indéfectible hospitalité dont font preuve les habitants. Interdit de filmer dans son pays depuis 2010, le cinéaste iranien a une fois encore bravé la censure. Une nouvelle fois derrière son volant (après Taxi Téhéran, 2015), il sillonne, plein d'ironie et de bienveillance, l'Iran rural. Une œuvre intelligente, très, très belle On espère la retrouver au palmarès samedi prochain.
Les deux réalisateurs belges Lukas Dhont et Guillaume Senez ont fait forte impression. Pour une première présence sur la Croisette, bravo!
Belles émotions pour Lukas Dhont (27 ans): Girl (Un certain regard), son premier long-métrage, a été longuement applaudi. L'histoire réunit un trio familial, Lara, son père et son petit frère. Lara rêve de devenir danseuse étoile alors qu'elle est née dans le corps d'un garçon. Elle se lance à corps perdu dans sa double quête: réussir le concours d'entrée et devenir une jeune fille.
Lukas Dont © Didier Lebrun/Photo News |
Danseur à l'Ecole Royale de Ballet d'Anvers, l'acteur bruxellois Victor Polster, 17 ans, illumine Lara tant son apparence féminine est convaincante. Comme Lara, il a dû exécuter des pointes, technique que seules les femmes ont à exercer. La souffrance physique et intime de Lara/Victor émeut profondément. Lukas Dhont réussit à monter un film solaire sur un sujet grave, joué en français et néerlandais.
Trois ans après Keeper, Guillaume Senez réinterroge la paternité dans Nos batailles (Semaine de la critique). Roman Duris, dans le rôle d'Olivier, se redécouvre père après que son épouse Laura (Lucie Debay), partie inopinément du foyer, le laisse seul face à ses responsabilités. Essayant de concilier éducation des enfants, vie familiale et professionnelle-il est contremaître dans une entreprise de grande-distribution, Olivier bataille pour trouver un nouvel équilibre. Très belles présences de Laetitia Dosh (la sœur d'Oliver) et de Laure Calamy (la collègue syndiquée).
© Benainous Catarina/Allpix/Photo News |
Encore du Belge ! Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Philippe Katherine se mettent à la natation synchronisée dans Le grand bain de Gilles Lellouche (hors compétition). Arrivée tonitruante de Benoît Poelvoorde, venu rejoindre Jonathan Zaccaï et Virginie Efira, les deux autres Belges de la bande Lellouche.
À lui tout seul, notre Benoît national a réchauffé la Croisette, décidément très pluvieuse sous les rafales de vent depuis hier...
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