Comme pour la tenue du Festival, le suspense était à son comble : qui aura la Palme d'or en 2021 ? La surprise était de taille quand le nom de Julia Ducournau résonna sous le plafond de l'Auditorium Lumière. Fallait-il récompenser l'horrifique et ultra violent "Titane" (en salles, le 28 juillet) ? Fallait-il distinguer une femme à tout prix ? (La deuxième, après Jane Campion pour "La Leçon de piano", par ailleurs ex-aequo avec un homme, Chen Kaige, pour "Adieu ma concubine" en 1993). D'autres réalisatrices en compétition méritaient la récompense suprême. À commencer par la Hongroise Ildikó Enyedi pour son magnifique "L'histoire de ma femme".
Agathe Rouselle et Vincent Lindon, entourent Julia Ducournau, réalisatrice de "Titane", Palme d'or 2021 © Chassery+Courdji/Kcs Presse/Photo News |
Et, pourquoi pas, Mia Hansen-Løve et son subtil "Bergman Island" ? Aucune d'elles n'a été récompensée samedi soir. Le réaliste mais lumineux "Bonne mère" de Hafsi Herzi (catégorie Un certain regard) a légitimement reçu le Prix d'Ensemble. Pas de Caméra d'or mais le premier long métrage de la réalisatrice belge Laura Wandel, "Un monde", a remporté le prix FIPRESCI (International Federation of Film Critics).
Sur scène, Doria Tillier tout en rose satin glisse prudemment. S'affiche "The end" sur une mélodie à consonance indienne. « Etrange de commencer par la fin » lance la maîtresse de cérémonie. « Beaucoup de choses ont une fin. Cela sonne un peu triste. Mais il y a des choses qui n'ont pas de fin, la créativité, les souvenirs... Il était une fois le palmarès du Festival de Cannes » proclame-t-elle en guise de signal de départ. Spike Lee, le costume arc-en-ciel, tient à « remercier tout le monde de nous retrouver dans une vraie salle de cinéma. Cannes c'est un petit peu mon deuxième foyer ». « Monsieur le président quel est le premier prix que vous allez remettre? » Patatras : Spike Lee allait commencer par la fin. Juste à temps, Doria Tillier l'interrompt alors qu'il allait annoncer la...Palme d'or avant l'heure. Une boulette ? Une feinte ? Le jury comme la salle tombe dans l'embarras. Heureusement Doria « est ici pour aider les autres ».
Spike Lee très (trop ?) enthousiaste à l'occasion de la cérémonie de clôture ? © Bestimage/Photo News |
Entretemps, bienveillant, le juré Tahar Rahim s'assied aux côtés de Spike Lee, bien en peine de suivre le protocole. Ouf. Les choses reprennent. Adèle Exarchopoulos remet le Prix d'interprétation masculine à l'Australien Caleb Landry Jones dans "Nitram" réalisé par Justin Kurzel. La troublante Américaine Rosamund Pike remet le Prix du Jury ex-aequo à Nadav Lapid ("Le genou d'Ahed", Israël) et à Apichatpong Weerasethahul ("Memoria", Thaïlande). Renate Reinsve, l'irrésistible interprète norvégienne de "Julie (en 12 chapitres)" de Joachim Trier reçoit le Prix d'interprétation féminine.
Juho Kuosmanen et Asghar Farhadi se partagent le Grand Prix © Chassery+Courdji/Kcs Presse/Photo New |
Autre ex-aequo: le Grand Prix est décerné à Ashhar Farhadi pour le splendide "Un héros" (Iran) et à Juho Kuosmanen pour "Compartiment n°6" (Finlande). Le duo des Sparks réceptionne le Prix de la mise en scène pour "Annette" de Leos Carax, absent pour des problèmes dentaires. Le Prix du scénario est dévolu à Ryusuke Hamaguchi et Ode Takamasa pour "Drive my car" (Japon) déjà récompensé par le Prix du jury œcuménique. Enfin, la délicieuse présidente du jury Mélanie Thierry décerne la Caméra d'or au film "Murina" (Croatie), d'Antoneta Alamat Kusijanovic repartie à Dubrovnik pour la naissance de son petit garçon.
Regrets pour les interprétations hors pair de Damien Bonnard dans "Les intranquilles" de Joachim Lafosse - reparti bredouille - et de Gijs Naber dans le magnifique "L'histoire de ma femme" de Ildikó Enyedi. On se réjouira aussi de voir "Lingui Les liens sacrés" de Mahamat Saleh Haroun (Tchad), "Les promesses d'Hasan" de Semih Kaplanoğlu (Turquie), "Onoda" d'Arthur Harari (France), "Les amours d'Anaïs" de Charline Bourgeois-Tacquet et autres petits bijoux bientôt en salles.
L'équipe des "Intranquilles", de Joachim Lafosse, repart bredouille © Kazuko Wakayama/Kcs Presse/Photo News |
La pandémie n'a donc pas eu raison du Festival de Cannes 2021. Des films, des films et encore des films, après un an et demi sans salles... on a dit oui ! Pendant douze jours, il y a eu des polémiques, des bâillements, des soubresauts de joie. On a affronté des drames, des déchirures, des tombereaux de (bons) sentiments. On a eu des surprises, des moments de grâce. À savourer, bien sûr. Catherine Deneuve a monté les marches quelques heures avant la mort de sa mère, Renée Dorléac, décédée à l'âge de 109 ans. Elle devait savoir ce qu'il en était. La reine Catherine est apparue souriante, ne laissant rien paraître. Sa retenue force le respect. Des émotions en pagaille. Des enchantements, évidemment. Des déceptions, certainement. Les élus font rarement l'unanimité. « Maintenant, on va au cinéma ! » s'engage encore Doria Tillier, la voix brisée, presque à bout de souffle. Oui, évidemment !
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