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Elie Grappe : « Le sport est politique »

Corinne Le Brun

08 December 2021

© DR

En 2013, une jeune gymnaste ukrainienne est envoyée s'entraîner en Suisse laissant derrière elle sa mère, journaliste, restée en Ukraine pour couvrir les manifestations à Kiev. Elie Grappe suit la trajectoire d'une adolescente ukrainienne qui veut atteindre ses ambitions sportives loin de son pays. L'exil en Suisse est difficile: solitude, sentiment de culpabilité vis-à-vis des luttes de son peuple. Elie Grappe signe un premier film impressionnant par sa maîtrise de la caméra et son suspense narratif. «Olga» parle de gymnastique, de dépassement de soi et de politique. Une réussite de haut vol.

Eventail.be - Comment est né "Olga" ?
Elie Grappe - Pendant mes études de cinéma, j'ai coréalisé un documentaire autour d'échanges d'orchestres. Une violoniste ukrainienne m'a raconté comment elle était arrivée en Suisse juste avant le début Euromaïdan (manifestations pro-européennes en Ukraine en novembre 2013 qui ont débouché sur la Révolution de février en 2014, ndlr). La façon dont elle m'en parlait me touchait beaucoup. Je me suis rendu à Kiev, j'ai rencontré des Ukrainiens qui ont participé à la révolution. En fait, il s'agit de mettre face à face cet enjeu individuel qui est celui de la gymnastique et un enjeu collectif. J'ai voulu explorer le lien possible entre les frontières géographiques et les frontières intimes en faisant un film sur l'exil. Olga n'est pas à sa place, elle est tiraillée entre la fidélité pour la gymnastique et la fidélité pour ce qui se passe chez elle. Elle a une culpabilité de ne pas être en Ukraine là où ça se passe. Mais il ne fallait pas que le film la condamne.

- Pourquoi avoir choisi la gymnastique ?
- J'avais envie de travailler sur une pratique que je ne maîtrisais pas. J'ai lu des reportages sur la gymnastique, discipline que je suis allé voir de plus près. Cette pratique est extrêmement cinégénique, pleine de mouvements et de sons. Comme jeune cinéaste, cela m'a tout de suite donné envie de filmer. Olga personnifie parfaitement la gymnastique de compétition, sport à la fois individuel et collectif.

- La jeune gymnaste Nastya Budiashkina incarne Olga. Comment l'avez-vous rencontrée et convaincue pour le rôle ?
- Je l'ai rencontrée pour la première aux Championnats d'Europe de gymnastique artistique à Berne où elle a été gymnaste de l'équipe ukrainienne dans la catégorie junior. En pleine écriture de scénario, je l'ai retrouvée au Centre olympique ukrainien à Kiev où elle m'a présenté sa copine, Sabrina Rubtsova, également gymnaste dans la vie. Professionnelles, elles avaient des besoins différents. Elles ont fait de nombreux essais. Jouer dans un film - et ce que cela représente pour elles - a fait l'objet d'un long processus de dialogues et de confiance mutuelle. Elles ont été formidables Pour un premier film, Olga était très solide dans le rôle-titre.

Portrait d'Olga, de la réalisatrice Elie Grappe 
© DR 

- "Olga" est-il un film politique ?
- Le film n'est pas militant mais profondément politique puisque Olga est confrontée à une dimension politique très forte. Comment concilier son désir individuel avec le cours de l'histoire ? Le sport et la politique n'arrêtent pas de se regarder en face. Mais le sport fait un déni de ça. Les sportifs représentent un pays, les pays sont eux-mêmes en tension. Quelques jours après avoir ouvertement critiqué la Fédération d'athlétisme de son pays en plein JO de Tokyo, la sprinteuse olympique biélorusse Krystsina Tsimanouskaya était obligée de se réfugier dans un autre pays plutôt que rentrer chez elle est un exemple flagrant.

- Les figures sportives sont vertigineuses de beauté. Comment les avez-vous filmées ?
- C'était un plaisir fou. Avoir plusieurs caméras, comme aux Jeux Olympiques, aurait été très pratique pour les deux gymnastes qui n'auraient pas été obligées de recommencer leurs exercices. Mais comme la gymnastique est très verticale, cela aurait été super compliqué de ne pas filmer les autres caméras. Nous avons tourné avec une seule caméra, aidés par la chef opératrice. Il fallait que la fiction s'insère dans le rythme réel des entraînements. On tournait souvent l'entièreté des scènes dans les prises pour que les gymnastes puissent recommencer les figures sans avoir à arrêter longtemps. Dans un entraînement, il ne faut pas que le corps refroidisse. Elles doivent recommencer vite. Le tournage était sportif, épuisant pour tout le monde et en même d'une énergie excitante, positive et joyeuse.

Une scène d'entrainement du film Olga de la réalisatrice Elie Grappe 
© DR

- D'où viennent les images d'archives ?
- Je les ai trouvées facilement sur internet. Elles portent en elles-mêmes un contexte auquel il fallait être fidèle. Et en même temps, ce sont les images les plus fantasmatique du film à cause des pixels, du mouvement... Les pixels créent une représentation très distanciée du réel. C'est ce que dit Olga : en exil, elle n'est pas en train de vivre la révolution en direct. En fait, elle vit une représentation très détournée du réel. Je voulais choisir des images faites par des gens qui faisaient la révolution, pas par des cinéastes ni des journalistes. Elles traduisent l'urgence de ces gens de filmer. On est au cœur de l'événement. Mon devoir de cinéaste est de filmer ces images. Le regard d'Olga confrontée à une collectivité de regards, illustre son exil.

L'affiche du film Olga d'Elie Grappe

- Quel regard portez-vous sur la gymnastique de compétition ?
- La préparation, le souffle, les relations dans une équipe m'intéressent encore plus que la discipline elle-même. Le regard avant une figure, le ratage, la force de reprendre... ces moments d'humanité sont très émouvants à filmer. Je voulais aussi montrer à quel point, les corps très puissants de jeunes adolescentes sont très marqués.

Olga
d'Elie Grappe
Avec Nastya Budiashkina et Sabrina Rubtsova

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