Corinne Le Brun
20 April 2022
Eventail.be – Quelle est l’origine de cette intrigue angoissante ?
Fabrice du Welz – J’ai eu la volonté de réaliser un film qui ne fait que des victimes dans une unité de temps, de lieu et d’action. Et avant tout, j’ai voulu développer un maximum de tension jusqu’à un point de non-retour. L’envie aussi de prendre la main du spectateur et l’emmener vers un pur thriller profondément jouissif et immédiatement tendu.
– Vous avez écrit le scénario écrit à trois …
– J’ai commencé avec Aurélien (Molas, romancier et co-scénariste, notamment, de La Fille du RER, d’André Téchiné, ndlr). Entretemps, j’ai tourné Adoration (2020). Quand j’ai repris le scénario d’Inexorable, je n’étais pas content. Joséphine Hopkins, jeune réalisatrice, aime les atmosphères horrifiques. Elle m’a beaucoup aidé à développer le personnage de Gloria dans sa fragilité, son côté border line, obsessionnel et dans le fait qu’elle soit touchante.
– Quel est le mobile de Gloria. Le père qui ne l’a pas reconnue ? Une simple admiratrice ?
– Le film n’apporte pas la réponse. Gloria est une jeune fille un peu déséquilibrée qui cherche de l’affection dans ce monde de brutes. Je ne délivre aucune vérité. Je ne voulais pas fermer le film. Je souhaitais prendre le spectateur dans un coin et le tétaniser pendant une heure et demi. Je cherche cette ambiguïté. Il n’y a rien de binaire dans le monde. Je gratte toujours dans mes personnages la pulsion animale et la transcendance. Après, le spectateur se pose des questions ou pas.
© DR
– Vous filmez régulièrement des jeunes adolescents. Cela vous fascine?
– Ce qui m’intéresse c’est l’enfance, le début de l’adolescence, Dans cette période de vie, il y a une innocence qui est réelle, pure. C’est le moment où Gloria est chavirée, condamnée par la vie des adultes, par l’ambiguïté, l’ambivalence. Par tout ce qui irrigue nos vies cachées, troubles, difficiles, parfois faites de mensonges.
– Seriez-vous un admirateur du chaos ?
– (Large sourire). J’essaie d’être le plus vivant, le plus tumultueux possible. Le théâtre de la cruauté m’intéresse beaucoup.
– Vous avez tourné à Roumont, proche de Libin. Etes-vous particulièrement attaché aux Ardennes belges ?
– C’est un peu mon décor de cinéaste. J’ai été mis plusieurs fois en pensionnat, notamment à l’Institut Saint-Joseph de Carlsbourg. Depuis l’enfance, j’ai nourri une espèce d’aversion et de fascination pour les Ardennes. L’hiver, c’est la Sibérie et l’été, c’est l’endroit le plus beau du monde. Je vais souvent marcher dans cette région.
– Vous nous faites (re) découvrir Alba Gaïa Bellugi qui incarne Gloria
– Alba tourne depuis qu’elle est enfant. Je l’ai vue dans la série Trois X Manon et la saison 2 Manon 20 ans sur Arte. Elle incarnait une jeune femme borderline. Je lui ai trouvé une grande force doublée d’une forte vulnérabilité. Très vite, j’ai voulu faire le film avec elle.
© Kris Dewitte
– Benoît Poelvoorde joue un écrivain à succès malheureux. Un contre-emploi ?
– Le personnage qu’il incarne n’arrive pas faire l’amour normalement à sa femme. Car il y a toujours ce rapport de classe. Il est écrasé dans le couple, par la famille, la puissance, la culture, la richesse. Comme c’est un homme broyé, la seule manière d’y remédier c’est de la dominer complètement sexuellement. Je connais Benoît depuis que j’ai quinze ans. À l’époque, j’étais à Namur. On faisait du théâtre amateur au TAPS produit par Bruno Belvaux, le frère de Rémi et de Lucas, avec Cécile de France. Nous jouions une pièce de Sam Shepard. Benoît tournait C’est arrivé près de chez vous. Nous allions au café. J’étais profondément aimanté par sa personnalité. Je le suis toujours.
– On le retrouvera dans votre prochain film Maldoror ?
– Oui. Le film sera librement inspiré de l’affaire Dutroux, de 1994 à 2002. Il raconte l’histoire d’un jeune gendarme qui va être confronté à l’inertie, à la guerre des polices, à la disparition des jeunes filles. Je porte ce projet depuis quinze ans. Le film sera tourné en Belgique et en Allemagne.
Le thriller a pour cadre le monde de l’édition et de la bourgeoisie
Je viens d’un milieu bourgeois. Pour la première fois, j’en parle de manière plus frontale. C’est un changement réel dans mon travail, Je ne connais pas du tout le monde de l’édition. C’était un prétexte. J’aime bien la figure de l’écrivain qui a des problèmes d’inspiration et d’écriture. C’est très statique et très stimulant.
«Inexorable» de Fabrice du Welz. Avec Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Bellugi. En salle le 20 avril 2022.
Film
Inexorable
De
Fabrice du Welz
Avec
Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Bellugi
Sortie
En salle le 20 avril 2022
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