Corinne Le Brun
17 October 2018
Très applaudi à la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes et en compétition au 33e FIFF à Namur, Nos batailles est le deuxième long métrage de notre compatriote Guillaume Senez, révélé par Keeper (2016). Rencontre.
Eventail.be - Comme dans Keeper, Nos batailles aborde le thème de lla parentalité et de la paternité...
Guillaume Senez - Oui, le film est une continuité autour de cette envie de devenir père. Olivier n'y arrive pas. La mère a disparu. Au fur et à mesure, il est dans l'écoute. Il va essayer de retrouver l'équilibre rompu par rapport à sa sœur, ses collègues, ses enfants. Il fait un apprentissage. Je suis père de deux enfants, je me suis séparé de leur mère il y a cinq ans. Le film est né de cela. Il y avait encore quelque chose à dire sur ce thème.
- Olivier est plein d'amour et pourtant il n'arrive pas être proche des siens. Qu'est-ce qui l'en empêche ?
- Olivier n'arrive pas aider les gens qu'il aime. Sa femme finit par fuguer. Quand on est confrontés aux gens qu'on aime, on n'arrive pas à avoir le recul. Dès qu'il y a un affect, c'est beaucoup plus compliqué de communiquer avec ses proches. Quand j'aide mon fils à faire ses devoirs, je m'énerve tout de suite, lui aussi (rire). Alors que quelqu'un d'autre, surtout du même âge, trouverait les mots. Le code déontologique conseille aux médecins de ne pas soigner les membres de leur famille, par exemple. Ils ne vont peut-être pas prendre les bonnes décisions. Je filme la vie de tous les gens. Je suis ému par le personnage d'Olivier. La femme disparaît, cela ne se fait pas mais cela existe. Les hommes ne sont pas toujours à leur place. Toutefois, les enfants continuent à aimer leur mère absente. C'est ce que j'ai voulu montrer dans le film.
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- Olivier est aussi confronté au monde impitoyable du travail...
- Je voulais filmer la modernité du travail, ce capitalisme 2.0, cette ubérisation de la société qui empiète sur la vie familiale, sur l'intime. Nos batailles c'est le combat que mène Olivier pour la famille, pour l'intime. Tous les problèmes qu'on a au travail, l'absence de lien social entre les gens, sont forcément avec nous, tout le temps. On mange on dort avec ça. Au final, on arrive plus à parler aux gens qu'on aime, on n'arrive plus à communiquer avec sa femme, ses enfants. C'est très compliqué de faire la part des choses. Le burn out, la dépression jouent inévitablement sur les relations intimes.
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- Vous avez écrit le scénario avec Raphaëlle Desplechin. L'écriture à quatre mains est un plus pour vous ?
- Oui. Travailler avec un scénariste professionnel qui m'accompagne m'est pour le moment indispensable. Je ne pourrais plus travailler tout seul, je n'ai pas suffisamment de rigueur. Raphaëlle et moi avons très vite travaillé pour le même projet et c'est très précieux. Je suis convaincu qu'il y a plus dans deux cerveaux que dans un. Le travail dans la collectivité apporte plus de recul, on sait remettre les choses en question. De même que je fais énormément participer les techniciens, on est dans la recherche. Un film n'est pas le travail d'une personne.
- Comment s'est déroulé le tournage avec Basile Grunberger et Lena Girard Voss, incarnant les deux enfants d'Olivier ?
- Basile et Lena ont été choisis très tôt. Un coach enfants était présent pour la concentration. Au début du tournage, ils ont joué des scènes avec Lucie Debay (Laura, la femme d'Olivier, ndlr) pour aider à comprendre qu'elle part du jour au lendemain. Ils ont une vingtaine de pages, ils connaissent les personnages. Ils font une première improvisation qu'on filme. Les troisièmes et quatrièmes premières prises sont des répétitions. Petit à petit, on arrive aux dialogues mais ils ne les reçoivent pas. Et avec les enfants, cela marche très bien. Ils sont obligés d'être dans l'écoute de ce qui se va passer. On est dans une recherche de spontanéité constante. J'utilise la même méthodologie dans tous mes films. Tous les comédiens sont sur un pied d'égalité, aucun ne reçoit les dialogues. Roman Duris n'avait jamais joué de cette manière, il a été convaincu de travailler quasiment sans filet. Comme il avait adoré Keeper, cette méthode lui est venue rapidement et très naturellement.
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