Monia, soupçonnée d’homosexualité, est rejetée, agressée par ses pairs, par la communauté musulmane. Amal (Lubna Azabal) plaide pour l’ouverture sur le monde par la littérature.
– Amal se déroule dans une école multiculturelle, à Bruxelles. Là où le drame se joue…
– Pour moi, l’éducation, c’est la clé de tout. Ce qu’Amal montre est désespérant parce que réaliste. Dans mon documentaire Au temps où les Arabes dansaient (2018), il n’y a pratiquement pas d’interview face-caméra. On laisse vivre les personnages dans leur quotidien, dans leur vie, leurs pensées… Mais quand on a commencé à rencontrer les profs, les directeurs d’école, la plupart avait peur de témoigner. Ils racontaient leur peur. Ce constat était révélateur. Personnellement, je suis pessimiste.
– Et pourquoi ont-ils peur ?
– À cause des menaces. On avait présenté Au temps où les Arabes dansaient au Festival International du Film sur l’Art, avec des gardes du corps, peu après l’attentat terroriste de la grande mosquée de Québec. Les Canadiens ont une vision des choses, que je trouve parfaite. Ils laissent les gens s’habiller comme ils veulent. Et donc il n’y a plus de défiance. Ce qui n’est pas le cas de la France où le port du voile est sujet à polémiques. Les chaînes de télévision s’en emparent à coups de discussions et débats sans fin. Ce qui pousse des jeunes à “aller jusqu’au bout”.
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– Et en Belgique ?
– En France, il n’existe pas de cours spécifique sur le religieux dans les écoles de la République. En revanche, en Belgique, l’enseignement public dispense des cours de toutes les religions. Chez nous, les professeurs de l’école coranique et de religion musulmane dans l’école communale sont désignés par l’Exécutif des musulmans de Belgique. Ce système est dangereux. Parce que les directeurs d’école n’ont aucun droit de regard sur les cours. On ne sait pas ce que ces professeurs racontent aux jeunes dans ces classes fermées. On ignore comment ils interprètent le monde, comment ils leur expliquent les textes.
– Amal, professeure de littérature, cherche à ouvrir l’esprit de ses élèves. Non sans difficultés…
– Elle évoque des textes de Victor Hugo, du Siècle des Lumières. En réalité, c’est Monia, soupçonnée par ses camarades de classe d’homosexualité, qui électrise les débats. La jeune fille est harcelée, agressée, insultée. Amal lit des vers satiriques vantant la liberté sexuelle d’Aboû Nouwâs, poète arabe du 8e siècle. Ces textes heurtent les élèves du 21e siècle. Ces livres ont disparu aujourd’hui des manuels scolaires et des bibliothèques. Amal demande une réunion des professeurs. Il n’y a aucune réaction. Lâchée par ses supérieurs, elle n’est pas soutenue. Parce qu’aborder des questions sur l’homosexualité risque de générer des réactions de la part de la communauté musulmane.
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– La directrice d’école est complètement impuissante…
– Et surtout, elle a peur. Elle veut, justement, comme cela se fait généralement, laisser couler, ne pas faire de vagues, « ça va passer, ce n’est pas grave. » Ce discours, nous l’avons rencontré pendant des années. On a voulu travailler sur le réel. Lubna Azabal a rencontré des profs, des directeurs d’école, dont elle se sert pour interpréter le personnage d’Amal. Il nous fallait montrer cette réalité.
– Le père de Monia est très compréhensif…
– Effectivement. Nous avons voulu montrer, à travers lui, la différence entre islam et islamisme. Le père de Monia est pratiquant. Il fait ses prières comme sa fille. Ils pratiquent un islam ouvert, face au fanatisme, au radicalisme. Les convertis sont beaucoup plus virulents que les musulmans d’origine.
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– Fabrizio Rongione campe un imam, converti. Vous avez directement pensé à lui ?
– Lubna (Azabal) me l’a recommandé. A la lecture du scénario, Fabrizio a accepté tout de suite. On a travaillé sur le verbe, le ton de la voix… D’où ce personnage d’imam mi serpent mi mielleux qui balance les phrases sans méchanceté. Avec nonchalance. Je voulais éviter les clichés du qamis (djellabah), de la longue barbe…. Fabrizio porte un costume cravate, mais tout se passe dans sa tête.
– Qu’apporte la fiction par rapport au documentaire?
– Les deux exercices sont très proches, pour moi. Je jongle avec les deux. Lorsqu’il est compliqué de réaliser un documentaire sur une thématique, je passe à la fiction. Et là, en l’occurrence, c’était très, très compliqué de pouvoir accéder à ces classes, obtenir des autorisations… Les gens ont peur, ils refusent de témoigner. C’est humain. Et donc il fallait faire de la fiction et être très, très proche de la réalité. Pour, justement, qu’on ne vienne pas nous dire « ce que vous racontez n’existe pas. ». Je voulais faire un film réaliste qui tire le signal d’alarme sur ce qui se passe et risque d’advenir encore.
– Quelle solution voyez-vous ?
– La clé, c’est l’éducation. L’école doit devenir une forteresse, une citadelle imprenable. Il faut soutenir tous les profs. Et il faut un programme courageux, ne pas avoir peur avoir peur d’aborder des thématiques qui risquent de heurter des sensibilités. Amal montre une classe multiculturelle et des résistances ouvertes sur le monde. Et, aussi, qu’il est possible de changer les mentalités. Il faut investir, rénover les écoles, que les jeunes se retrouvent dans des établissements agréables. Proposer l’excellence pour tout le monde. Certaines communes comme Uccle ou Woluwe Saint-Lambert acceptent peu d’élèves d’origine maghrébine. Rejetés, ils se retrouvent dans des écoles situées dans le Nord de Bruxelles. On ne cherche pas à intégrer les gens.
Film
Amal
Réalisation
Jawad Rhalib
Distribution
Lubna Azabal, Fabrizio Rongione & Catherine Salée
Récompenses
Sortie
En salles
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