Rédaction
06 October 2021
Eventail.be - 35 ans...il a fallu du temps pour réaliser "Les Intranquilles". Quel a été le déclic ?
Joachim Lafosse - Il y a vingt ans de psychanalyse, sans quoi je n'aurais jamais fait ce film. Elle m'a donné la possibilité de ne plus avoir à choisir entre mon père et ma mère, de laisser revenir des émotions que j'avais mises de côté et de les accueillir avec tranquillité. L'occasion aussi d'être ému par les propositions de Damien et de Leïla, de dire à Amine oui, tu peux caresser le visage de ton père (dans le film). Il y a beaucoup d'autres films avant alors que je sais depuis l'adolescence que j'avais envie raconter cette histoire. J'ai rencontré des producteurs tellement bienveillants. Des gens m'ont encadré, aidé à trouver la justesse, à choisir les bonnes priorités c'est-à-dire essayer de faire une œuvre d'art plutôt qu'un coup commercial. Cela a été le cas.
- Le film vous renvoie à votre enfance...
- C'est plus simple de l'exprimer clairement. Mais je ne suis pas obligé de tout dire. En tout cas, je réfléchis à chaque fois qu'on me pose la question. C'est émouvant de s'autoriser à se souvenir. Le film n'est pas autobiographique, il n'est pas la vérité de ma vie de famille. C'est ma subjectivité. Les autres membres de ma famille vous raconteraient sans doute autre chose. Ils auraient fait un autre film.
- La bipolarité est-elle une maladie encore mal perçue ?
- Le sujet du film c'est l'engagement amoureux. Je ne filme que ce que je connais parce que sinon je ne tourne pas bien. Et je connaissais la bipolarité. Vivre avec la psychose c'est presque un thriller. C'est ça que j'ai essayé de faire voir aussi. C'est terriblement angoissant et, en même temps, j'ai toujours été très admiratif de mon père qui s'est battu pour essayer de dire « je ne suis pas qu'un malade ». Et je suis très fier de pouvoir dire que cela fait trente ans qu'il n'a plus été hospitalisé, ni pris son traitement. Cette lutte qu'il a menée, c'est une leçon. Ce n'est jamais qu'un malade. Quand on a un cancer, les gens ne vous regardent plus que comme un cancéreux, malheureusement trop souvent. Alors qu'en fait, il faudrait aussi, pour aider, regarder tout ce qu'on est d'autre. C'est le problème du symptôme : quand la Covid a été diagnostiquée, on n'a plus regardé que la Covid. On a vécu, depuis la pandémie, les mêmes problématiques que celles de Damien, de ne plus approcher la personne que sous cet angle-là. Je me suis fait vacciner et il est important de mettre les masques. Mais, pour aider les malades, essayons de les voir multiples, au-delà de leurs symptômes.
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- La bipolarité est contagieuse par l'angoisse qu'elle suscite auprès des proches....
- La bipolarité est très complexe. Ma grand-mère était bipolaire, mon père l'était, j'ai eu peur de l'être. C'est pour cela que je suis allé en psychanalyse. Je n'ai jamais été hospitalisé, je n'ai jamais eu de crise maniaque, je n'ai jamais dû prendre de médicaments mais j'ai eu peur parce que tout le monde parle d'hérédité. C'est des choses avec lesquelles il faut faire. Mon père va super bien. Il a vu le film qui m'a permis une magnifique discussion avec lui.
- Le couple ne se sépare pas grâce à Leïla qui fait tout maintenir le lien
- Elle est aussi aidée par Damien qui essaie de lui faire entendre son amour. Leïla dévisse quand elle dit que de toute façon on guérit pas de la bipolarité. C'est excessif, elle perd pied, on comprend bien pourquoi. Lui ne cède pas quand il lui dit : « là tu n'es pas très juste ». Il ne capitule pas. Cela veut dire qu'il tient quand même à elle aussi.
- Comment s'est déroulé le tournage avec Gabriel Merz Chammah qui incarne Amine, le jeune fils ?
- C'est important de filmer des enfants comme des enfants. Pas comme des objets de cinéma qui sont vite mis dans un coin parce que ce n'est pas facile à filmer. C'est sa maman, Lolita Chammah (fille d'Isabelle Huppert, ndlr) qui m'a encouragé à faire des essais avec lui. Je me suis rendu compte qu'il était très talentueux. Je n'aime pas diriger les enfants. Ce sont les acteurs qui les dirigent sur le plateau. Je donne des consignes aux acteurs qui les donne aux enfants. J'aime veiller à ce qu'on prenne soin de ces enfants mais le cinéma est compliqué pour eux. Les histoires que je raconte nécessitent de travailler avec des enfants. Mais cela demande une grande vigilance parce que c'est un monde d'adultes qui théorisent. On s'organise pour que ça reste vivable pour eux : en veillant à ce qu'il y ait d'autres enfants sur le plateau, en respectant les horaires, en parlant avec eux du scénario, en veillant à ce qu'ils comprennent bien l'histoire.
- Vous avez tourné pendant le confinement ?
- Nous avons travaillé entre les deux confinements, en juillet et août 2020, pendant sept semaines, au Grand-Duché du Luxembourg et dans le sud de la France.
- La famille est au centre de vos films. Vous continuerez dans cette voie-là ?
- Je trouve que la fiction est une superbe manière de parler de ces choses dans la famille, qu'on cache, qu'on tait. Le documentaire n'arrive pas là. La fiction est un très bon outil pour arriver à décrire ces secrets, ces silences, ces choses qu'on a enfouies qu'on met sur la table. Mon prochain film aborde un fait divers belge, avec une famille.
Les Intranquilles de Joachim LafosseAvec : Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah.En salle mercredi 6 octobre1 : "Les Intranquilles" a été présenté en ouverture du Festival.
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