Corinne Le Brun
13 November 2019
Sa tâche consiste à identifier des corps retrouvés. Un jour, à travers le récit d'une vieille Indienne, il pense trouver la trace de son propre père disparu. Contre l'assentiment de sa mère, il cherche à connaître la vérité. Le premier long métrage de César Díaz livre un film pudique, très émouvant dans un pays qui cherche toujours des réponses enfouies sous terre et dans le silence. Le cinéaste guatémaltèque vivant en Belgique depuis vingt ans, raconte cette quête qui concerne presque toute l'histoire de l'Amérique latine récente. "Nuestras Madres", en course à la Semaine de la Critique, a été couronné de la Caméra d'or à l'issue de l'édition 2019 du Festival de Cannes. Il succède ainsi à un autre film belge Girl de Lukas Dhont, Caméra d'or en 2018. "Nuestras Madres" pourra prétendre à l'Oscar du Meilleur film international en 2020, s'il est retenu parmi les nommés !
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Eventail.be : Vous avez abandonné votre projet de documentaire. Que vous apporte la fiction ?
César Díaz : J'avais déjà découvert le travail de la Fondation qui procède à la reconnaissance des corps. Mais j'avais envie d'entendre les morts même si on ne sait pas où ils sont. Je voulais aussi une confrontation du fils et de la mère, que j'ai inventée. La rencontre avec des femmes victimes fut le dernier déclencheur. Ces femmes sont si dignes, si fortes. Je devais passer par elles. Je ne pouvais jamais obtenir tout cela à travers un documentaire. Voilà pourquoi, je me suis mis à écrire une fiction.
- Quelle est la part de votre propre histoire dans le film ?
- Mon père a disparu. Je l'ai cherché pendant très longtemps. En inventant l'histoire de la mère qui s'oppose à son fils, je me suis servi de mon émotion, de mon parcours personnel. Avec Ernesto, on a travaillé la sensation du vide. Comment le remplir, comment le gérer ? C'est le fil rouge de l'histoire. Je ne voulais pas faire un film autobiographique parce qu'il ne permet aucune distance. En se racontant, on tombe facilement dans la psychologie de bas étage. Je ne voulais pas être impudique. J'ai préféré inviter le spectateur à un endroit certes intime mais qui, grâce à la distance, permet de faire de la vraie fiction. Cette distance je l'ai eu grâce surtout au fait que je vis en Belgique. Si je vivais encore au Guatemala, je pense que cela aurait été plus compliqué. Il y a une distance physique, un quotidien, un contexte qui vous permettent de regarder cet endroit comment comme si c'était une pièce de théâtre. On vit un lien émotionnel sans être submergé par toute la violence quotidienne de là-bas.
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- Cristina s'oppose à ce que son fils, Ernesto, recherche son père. Comme toutes les mères concernées par les massacres ?
- Justement pas.Il y a autant de façons d'être victimes que de victimes. Les gens qui ont subi des violences ont des réactions différentes. Certains veulent parler, d'autres ont une énorme résilience tout en voulant se taire, il y a ceux qui ont besoin d'avoir un portrait de leur disparu, de garder ses vêtements en permanence... La mère d'Ernesto s'oppose à l'enquête de son fils car il y a un secret qu'elle ne veut sans doute pas connaître.
- Après la Caméra d'or à Cannes, "Nuestras Madres", représente la Belgique poiur un possible Oscar du Meilleur film étranger. Comment vous préparez-vous à cela ?
- C'est un monde étrange, déstabilisant, auquel on n'est pas habitués. Nous sommes en pleine campagne marketing. On ne parle pas encore du film ni de ses qualités cinématographiques. La première short liste sera connue à la mi-décembre et les 5 nommés, début janvier. De toutes façons, le film sortira le 18 mars 2020 au Guatemala. "Nuestras Madres" ne fait pas peur. Les autorités guatémaltèques se sentent tellement puissantes parce qu'elles sont convaincues que, de toutes façons, les criminels ne seront jamais jugés. C'est un film politique mais je voudrais qu'il crée des ponts pour que le dialogue existe.
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- Comment expliquez-vous les massacres au Guatemala ?
- Il y a un fond de racisme, de la part de tout le monde. Ce ne sont que 250.000 Indiens qui ont été massacrés. On s'en fout, au Guatemala ou ailleurs. Je suis convaincu qu'on est incapable de faire du mal, de commettre des viols, des assassinats, des massacres à quelqu'un si on imagine qu'on est en face d'un être humain. Les Indiens ne sont pas considérés comme des êtres humains. Comment arrive-t-on à commettre de tels crimes ? Cette logique des militaires - mais pas seulement -, est complètement déshumanisée. Pour moi, c'est la seule explication.
- Comment voyez-vous l'avenir du pays ?
- Très noir. Depuis la dernière élection présidentielle (juin 2019), le pays fait un bond en arrière. Le pouvoir en place propose une loi visant à accorder une amnistie pour les graves violations des droits humains commises pendant la guerre civile, et qui conduirait à la libération immédiate de nombreuses personnes condamnées. Cette loi qui risque de passer avant le nouveau gouvernement (en janvier), va interdire les enquêtes en cours et les procès.
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