Stéphanie Dulout
10 May 2022
Couleurs stridentes ou terreuses, visages grimaçants, corps défaits, cadrages dérangeants nous plaçant dans une proximité inquiétante avec le modèle portraituré, espaces confinés souvent dépourvus d’horizon… Le monde vu à travers la lorgnette des peintres de la Nouvelle Objectivité est dur et âpre. Virtuoses par la précision de leur trait aiguisé et tranchant comme une lame de rasoir, la transparence de leur glacis et de leur “mince couche de peinture, lisse, aussi fine que possible, comme un métal poli” – pour reprendre les termes utilisés par le critique d’art Franz Roh en 1925 pour définir cet “après-Expressionnisme” –, leurs tableaux ont la froideur de la vérité.
Otto Dix, Portrait de la danseuse Anita Berber, 1925, huile et tempera sur contreplaqué. © ADAGP, PARIS, 2022 PHOTO : BPK / KUNSTMUSEUM STUTTGART, SAMMLUNG LANDESBANK BADEN-WÜRTTEMBERG IM / FRANK KLEINBACH
Quelques scènes de genre (Crime sexuel, taverne pour travestis, faubourgs dévorés par l’industrie…), quelques natures mortes glaçantes, mais surtout des portraits (journalistes, écrivains, médecins, Profiteur de guerre, danseuses, filles de joie…) aux yeux vides et fixes, comme repliés sur eux-mêmes : saisies dans un espace raréfié, une lumière crue et l’éclat dur des couleurs au poli semblable à celui des maîtres anciens, ces peintures – qui seront bientôt qualifiées de “dégénérées” – nous donnent à voir la solitude et la déperdition des êtres.
C’est pourtant à un “Réalisme magique” que ce retour à une peinture figurative, descriptive, précise et impersonnelle, ce regard froid et distancé posé sur le monde, les êtres et les choses, est alors assimilé. Un “vérisme”, qui pourra prendre un tour très satirique (chez George Grosz) ou s’infléchir vers le purisme, voire un certain surréalisme issu de l’étrange et presque oppressante densité donnée au réel. Reposant sur un dessin analytique soulignant la matérialité des corps et des objets, leur “réalité objective”, ce réalisme dur et sec apparaît cependant le plus souvent implacable.
Justifiée par le lien de très grande proximité entretenu par les peintres de la Neue Sachlichkeit avec la photographie, dont ils cherchaient à approcher l’objectivité, une “exposition dans l’exposition” est consacrée à “l’œuvre-jalon”, selon les commissaires du Centre Pompidou, d’August Sander, ayant déjoué, par sa démarche et son style documentaires, l’esthétisme de la photographie pictorialiste.
August Sander, le “regard incorruptible” ayant poussé l’objectivation du réel, le catalogage des Hommes du XXe siècle (vaste projet inachevé), selon leur métier et leur couche sociale, jusqu’à réduire ses personnages à des “types” désindividualisés : un recensement typologique dont le caractère presque physiognomonique, au regard des “tentations physiognomoniques contemporaines du national-socialisme” peut interroger…
En couverture : Secrétaire à la Westdeuts cher Rundfunk de Cologne], 1931 © Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur – August Sander Archiv, Cologne/ Adagp, Paris, 2022
Exposition
/ Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander /
Dates
Du 11 mai au 5 septembre
Adresse
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou,
75004 Paris, France
Billetterie
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