Stéphanie Dulout
22 June 2022
Sis, en plein cœur du quartier latin, dans un hôtel particulier du XVe siècle adossé à des thermes gallo-romains, auquel a été greffée une extension contemporaine, le musée du Moyen Âge “nouvelle génération” veut créer un pont entre le passé et le présent.
© DR
Une enveloppe de 13 millions € pour la dernière phase de cet ambitieux chantier de modernisation(1) aura permis, après la restauration des thermes romains et de la chapelle gothique, ainsi que du pavillon néo-romain construit en 1843 lors de la création du musée, la refonte de la muséographie et la rénovation des espaces intérieurs (avec, notamment, l’effacement des vingt-sept ruptures de niveau qui, auparavant, rendaient le parcours labyrinthique du musée presque inaccessible aux poussettes et aux fauteuils roulants). Quant au nouveau “pavillon d’accueil”(2) conçu par Bernard Desmoulin “en connivence avec le collage d’architectures du site” (pour 7,6 millions), il pourra heurter le regard des puristes, et même des passants, bien que jouant la carte de la sobriété – un bâtiment-passerelle à double pignon, chacun couvert de plaques en fonte d’aluminium d’une froide opacité évoquant davantage quelque hangar ou entrepôt suspendu que le profil du frigidarium des thermes auquel il est censé faire écho…
Construit au-dessus des vestiges romains demeurés à ciel ouvert (au bord du boulevard Saint-Michel, l’un des plus encombrés de Paris !), donc toujours livrés aux gaz d’échappement et aux intempéries…, ce nouveau greffon s’inscrit, il est vrai, dans un site patrimonial qui, par son hybridation architecturale, constitue une véritable curiosité : aux Thermes de la Lutèce romaine édifiés sur trois étages à la fin du Ier siècle de notre ère, s’est adossée, fin XVe, la résidence des abbés de Cluny, elle-même augmentée à la fin du XIXe siècle d’un pastiche… Si le nouveau bâtiment affiche sa volonté “d’instaurer un dialogue” avec ceux qui l’ont précédé, notamment par son motif de guipure ajourant çà et là les plaques revêtant la façade en écho à la dentelle de pierre de la porte-tambour de la chapelle des abbés de Cluny (chef-d’œuvre du gothique flamboyant), il apparaît évident que cette extension contemporaine cernée par une énorme passerelle métallique, façon aéroport, a été construite essentiellement pour remplir le cahier des charges des Établissements recevant du public (ERP) et satisfaire à la mise aux normes en vigueur, dont, principalement, l’accessibilité à tous les publics, par l’installation de rampes et d’ascenseurs.
La Chapelle de l’Hôtel de Cluny © Rmn-Grand Palais : Michel Urtado
Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? Ceci ne fait, en l’occurrence, pas le moindre doute, tant les collections du musée (24 000 œuvres ou ensembles d’œuvres) sont précieuses. Issues de la fièvre médiévale du XIXe siècle (et notamment, de la collection d’un amateur d’art passionné, Alexandre Du Sommerard, constituée dès les années 1820), puis de dons et d’acquisitions éclairées, elles se déploient aujourd’hui, dans les vingt-et-une salles, au fil d’un parcours chrono-thématique fluidifié et aplani, à travers une sélection de 1600 œuvres représentant la richesse esthétique et la diversité artistique du Moyen Âge. “Un temps long puisque s’étirant sur plus de mille ans […] en rien monolithique”, croit bon de préciser Séverine Lepape, la directrice du musée.
Sculptures et vitraux provenant de la Sainte Chapelle, de la basilique Saint-Denis ou de Notre-Dame de Paris ; trésors d’orfèvrerie ; objets de dévotion ; tentures seigneuriales… Difficile de choisir des chefs-d’œuvre parmi des chefs-d’œuvre… Le Bel Adam de Notre-Dame de Paris, haut de deux mètres de haut, chef-d’œuvre antiquisant de la sculpture gothique ? La Châsse des Rois mages, prestigieux reliquaire émaillé à décor narratif gravé sur cuivre du Limousin ? L’extraordinaire coffret en ivoire sculpté à la gloire de l’amour courtois au début du XVe siècle intitulé Assaut du château d’amour ? Les bijoux gaulois découverts dans une cache d’orfèvre en 1854 ? L’énigmatique tenture de La Dame à la licorne repérée, avec les autres tapisseries allégoriques devenues les icônes du musée, dans un château de la Creuse par George Sand, avant d’être classée puis “enlevée” par Prosper Mérimée ? Ou encore les vingt-et-une têtes des rois de Juda, provenant de Notre-Dame de Paris, mises au jour en 1977 dans les fondations de la Banque française du commerce extérieur rue de la Chaussée-d’Antin ? Ou celle du prophète Isaïe, jadis dit “à la barbe torsadée” – une statue-colonne du XIIe siècle dont la restauration aura permis de retrouver l’identité ?
(1) Le budget total s’élevant à 23,1 millions, financés par l’État et pour partie (6 millions) par le musée.
(2) Inauguré en 2018.
Adresse
Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge
28 Rue du Sommerard
75005 Paris, France
Programmation
Horaire
Du mardi au dimanche : 9h – 18h15
Fermé le lundi
Téléphone
+33 1 53 73 78 00
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