Eventail.be – Qu’est-ce qui vous a décidé à gravir l’Aconcagua ?
Aymeric de Lamotte – Je n’ai pas une grande expérience de la haute montagne mais j’ai gravi le Mont Blanc en 2015 et, l’an dernier, le pic Lénine au Tadjikistan. L’ascension de l’Aconcagua n’était pas un choix personnel. Mes deux amis qui avaient l’ambition de l’escalader m’ont convaincu. Je suis très content de l’avoir fait car même s’il n’est pas trop technique, l’Aconcagua reste le plus haut sommet des deux Amériques. La symbolique est très forte.
– Vous étiez certain d’arriver au sommet ?
– Le jour J, je devais encore franchir la Canaleta, soit les derniers 265 mètres. Il me fallait y arriver avant 13 heures pour pouvoir revenir avant la nuit au camp (5500 mètres). On est arrivés juste à temps. À une demi-heure près, on ne continuait pas. Cette incertitude me galvanisait. La difficulté m’exalte. Le risque et la peur ne me fragilisent pas.
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– À quel moment avez-vous eu le plus peur ?
– Au moment de la descente, lorsque la tempête s’est abattue. Ce fut un véritable calvaire parce qu’on tombait tout le temps. J’ai eu un moment intense de découragement lorsque je ne voyais même plus mon ami Harold tant la brume était épaisse.
– Tutoyer les sommets invite à la spiritualité ?
– Oui, absolument. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire le livre. Je me suis retrouvé dans un univers très sauvage, hostile et d’une beauté incroyable. La Cordillère des Andes offre une espèce de grandeur. Elle nous plonge dans un cadre naturel très pur, très peu touché par l’homme. Ce contraste exacerbe encore plus la beauté. Cela vous happe, vous captive, vous invite à la contemplation. L’attention extrême devient presque spirituelle. Quand on se tend vers des choses parfaitement belles, on se rapproche encore plus du divin. Ma foi était un peu plus tangible. Simone Weil et Antoine de Saint Exupéry ont parfaitement exprimé ce phénomène. C’est par leur truchement que j’apprends à contempler la beauté.
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– Qu’est-ce qui vous plaît dans la haute montagne ?
– Généralement, on tend à séparer les gens qui préfèrent la montagne à la mer. C’est un peu trop caricatural. Les gens aiment les deux, en fait. La mer me fait peur car je crains ce que je ne vois pas. J’éprouve ce que Gaston Bachelard appelle « l’aspiration par le mouvement vertical des cimes ». Instinctivement, j’ai envie de me lancer sur les versants montagneux. Mon élément naturel, c’est la montagne. Un mouvement ascendant me prend avec elle. C’est très contagieux.
– Vous avez eu la sensation de posséder la montagne ?
– On ne vainc pas la montagne. Elle ne m’appartient pas et je ne lui appartiens pas non plus. « L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». La citation d’Albert Camus fait sens. Je réponds à l’appel de la montagne mais elle est indifférente. C’est un monologue singulier. On n’a pas la même relation. C’est très inhumain, une montagne. Vous n’existez pas pour elle alors que vous l’adorez. L’écrivain Sylvain Tesson dit que la nature peut vivre sans vous alors que, pour moi, la beauté de la nature n’a de sens que si elle est humanisée. La montagne n’est belle que parce que l’homme la regarde, l’habite. Sylvain Tesson, que j’admire, ne serait pas du tout d’accord avec moi (sourire).
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– Quand avez-vous décidé de raconter votre aventure?
– Dès le départ, je savais que j’allais écrire ce livre. C’est mon premier exercice littéraire. Je respecte éminemment le rôle de l’écrivain. J’ai été imbibé par la littéraire française, une des plus belles du monde. Je suis un amoureux fou du mot et un passionné inconditionnel de la montagne. J’ai voulu trouver un terrain commun entre les deux. Je n’ai pas écrit un livre sur l’art de l’alpinisme. J’écrivais pendant mon ascension, deux à trois heures par jour. De retour à Bruxelles, j’ai repris mon carnet de notes et me suis plongé dans l’écriture pendant un an, épaulé par mes deux professeurs de latin.
– L’alpiniste Lionel Terray fait l’éloge de l’inutile*. Vous retrouvez-vous dans son expérience?
– Oui. Ce qui compte c’est le dépassement de soi. Vivre dans un environnement exceptionnel permet de mieux vous connaître, de réfléchir, de se dépouiller de l’inutile, en effet. Les pilotes de l’Aéropostale ont risqué leur vie pour des actions dépourvues de valeur financière: la liaison postale, le risque, la soif d’absolu, la fidélité, la loyauté dans l’amitié. Quand vous avez accompli cela, vous ne pouvez pas revenir à l’opposé et vous faire engloutir par l’argent, le matériel… Si vous avez vécu avec ces valeurs profondément humaines un instant, elles restent en vous. Bien sûr, la vie ordinaire revient inévitablement mais c’est très sain de garder ces valeurs en tête.
* : « Les conquérants de l’inutile », Lionel Terray, Ed. Gallimard, 1961.
En août prochain, Aymeric de Lamotte partira à l’assaut du pic Khan Tengri (7010 mètres), situé au Kirghizistan.
Photo de couverture : © Quentin Guyot
Titre
Tempête sur l’Aconcagua
Auteur
Aymeric de Lamotte
Préface de Tashi Lakpa Sherpa, alpiniste népalais
Éditeur
Transboréal
Collection « Voyage en poche »
Sur internet
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