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Philippe Blasband : « Une enquête crée une tension jouissive »

4 / 4 épisodes

L'été des polarsLittératureromans noirs

Corinne Le Brun

25 August 2022

Philippe Blasband

L’été s’est installé (et la canicule avec lui) et  les sacs des vacances ne sont peut-être pas tout à fait rangés, alors n’oublions pas les bons polars pour les frissons sous le soleil. Eventail.be a rencontré quatre auteurs dont les histoires noires feront trembler ! Dernier chapitre : Philippe Blasband, romancier, dramaturge, scénariste, cinéaste et amoureux de Bruxelles.

Il en a déjà couché pléthore, des écrits, Philippe Blasband : romans, pièces de théâtre, scénarii de films mais il s’agit là de son premier roman policier. C’est la vie d’une ancienne prostituée et droguée que nous raconte Chocolat amer. Sabine découvre un premier cadavre dans son café, puis un second. Cette découverte la ramène vingt ans en arrière lors de l’enquête qui l’a menée au tueur en série Martin Rooselaer. Philippe Blasband nous embarque dans les quartiers de Bruxelles, dans les pas de Sabine, femme libre, déterminée à mener l’enquête. À la noirceur des événements, Philippe Blasband oppose une forme d’innocence, de tendresse. Chocolat amer confirme la voix singulière de son auteur qui nous avait déjà séduits avec De cendres et de fumées (Gallimard, 1990), Le livre des Rabinovitch( Le Castor Astral, 1998), Johnny Bruxelles (Grasset, 2005). Rencontre avec l’écrivain belge d’origine iranienne sur les lieux du crime, la terrasse d’un café à Jette.

Philippe Blasband – Chocolat amer est votre premier roman policier. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps?
Eventail.be –
C’est un rêve depuis longtemps. La pandémie, le confinement, le moment où tout s’ouvre, après la première vague en 2020, m’ont inspiré. L’histoire est écrite sur cinq jours, le temps de l’enquête même si cela m’a pris plus de temps pour écrire le roman. L’idée était d’écrire en live, l’envie de raconter en direct la réalité telle qu’elle était à cette époque-là. J’ai rencontré des anciennes prostituées qui, pendant le confinement, ont dû arrêter et, par la suite, ne savaient que faire. Lors du déconfinement, elles ont ouvert des cafés parce que leur rapport avec leur clientèle leur manquait. L’idée du personnage de Sabine, elle-même ancienne prostituée, vient de là.

– Sabine se définit continuellement comme une ancienne « pute »…
C’est le mot qu’elle utilise même si c’est très péjoratif et très insultant. Elle ne sait pas s’en empêcher, sans doute par autodépréciation. Sabine se sabote un peu. Parfois, l’usage de certains mots injurieux les rend acceptables. Cubisme fauvisme, juif… étaient des insultes au départ. La prostitution pose un problème de vocabulaire : que ce soient des euphémismes comme « professionnelle », « fille », « elle jour ou de nuit » ou des mots incompréhensibles comme « péripatéticienne » …

– Votre roman n’est pas violent encore moins sanguinaire. On y voit même de la tendresse…
J’aime les gens. Ecrire des romans et des scénarii me permet de me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre, de connaître ses tenants et aboutissants, de comprendre comment il fonctionne. Sabine, justement, essaie de considérer les gens même ceux qu’elle n’aime pas. C’est pour cela qu’elle est une bonne enquêtrice.

Philippe Blasband à Bruxelles

Philippe Blasband à Bruxelles © Frédéric Fonteyne

– Sabine imagine l’enfance de la personne en face d’elle, si insupportable soit-elle…
C’est une défense, sa façon à elle de ne pas être déstabilisée. D’autres se protègent en imaginant tout le monde nu. Sabine ressent de la tendresse pour ses interlocuteurs. Cela aurait été compliqué d’avoir quelqu’un qui se sent supérieur à tout le monde. Sabine ne méprise jamais l’autre. Elle peut avoir des problèmes avec des gens. Elle ne supporte pas celui qui lui commande l’enquête mais elle essaie de le comprendre.

– Le chocolat est un de vos sujets de prédilection. Pour quelles raisons ?
J’essaie d’arrêter mais depuis mon enfance, je suis un grand consommateur de chocolat jusqu’à manger quatre à cinq bâtons par jour. Cela s’est accru au moment où, devenu adulte, je pouvais en acheter. Je mangeais en cachette. Beaucoup d’écrivains sont alcooliques ou ont des problèmes de drogue. Quand j’ai écrit la pièce Les mangeuses de chocolat, je me suis rendu compte que beaucoup d’hommes souffrent de cette addiction. L’image qu’on en a est plutôt féminine. En Iran, comme dans les pays du sud, on met des additifs pour que le chocolat ne fonde pas trop vite. Il goûte le savon et, franchement, il n’est pas bon. Dans la culture iranienne, on ne mange pas du chocolat. Pour Les émotifs anonymes (2010, film réalisé par Jean-Pierre Améris et coécrit par Philippe Blasband, ndlr), je me suis inspiré du salon de thé bruxellois Tea for Two où j’écrivais très souvent. Son patron fabriquait du chocolat. Jean-Pierre et moi avions trouvé l’idée plutôt bonne pour en faire un film sur deux émotifs. Le chocolat est une nourriture consolatrice. Je ne me sens pas bien quand je ne mange pas de chocolat et lorsque j’en mange, je me sens mal… C’est l’effet pervers de l’addiction. La chocolatomanie en est une.

– Deux auteurs de polars qui vous ont marqué ?
La moisson rouge de Dashiell Hammet, pour l’écriture très épurée et Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de Stieg Larsson, le premier de la série littéraire Millenium, pour les personnages de femmes attachants. Dès que vous mettez un personnage féminin au centre, c’est plus intéressant. La vie d’une femme est un combat, petit ou grand. La vie d’un homme, pas nécessairement. En tant que lecteur j’aime beaucoup les polars. Une enquête crée une tension jouissive pour l’auteur et le lecteur. J’ai lu des romans policiers d’Agatha Christie où des enquêtes traditionnelles prennent le dessus. J’aime des personnages décalés dans un milieu complexe.

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