Rédaction
12 October 2016
Fait étonnant : en 1971, seules 20 000 (ou 30 000, selon les sources) personnes ont eu le courage d'aller chez leur disquaire et ramener Une Histoire de Melody Nelson à la maison. Un échec cuisant quand on connaît l'aura et l'impact dans les charts de Serge Gainsbourg, mais qui résume parfaitement le cas du douzième album solo de l'homme à la tête de chou, celui d'un disque exigeant, complexe, mais finalement pionnier, qui a a longtemps trainé derrière lui une réputation d'album conceptuel quelque peu embarrassante. Car si Gainsbourg traine plus que jamais ici sa réputation d'artiste avant-gardiste, cheminant dans l'industrie du disque selon une démarche radicale, sinon singulière, il n'en reste pas moins un alchimiste du son, un musicien qui a toujours su changer la variété en pop, efficace et novatrice – il suffit d'écouter attentivement les orchestrations de tubes tels que « Poupée de Cire, Poupée de Son ».
Dans cette France de l'après-68, Une Histoire de Melody Nelson poursuit donc cette quête de l'œuvre musicale suprême, prônant le parlé-chanté, le mélange des genres et s'éloignant ouvertement des formes stéréotypées, radio-diffusables. Ce disque, c'est donc vingt-huit minutes et deux secondes de symphonies pop orchestrées par Jean-Claude Vannier, entrecoupées par de brèves interventions de Jane Birkin (présente également sur la pochette, les bras croisés pour masquer sa grossesse en cours) et ordonnées autour de l'accident de la petite Melody Nelson, heurtée par la Rolls Royce d'un quadragénaire.
Gainsbourg 1.Melody par occiMORT
Dans une interview au magazine français L'Express, Jean-Claude Vannier racontait la naissance du disque : « On se téléphonait toutes les nuits, on se voyait, on échangeait des idées assis l'un en face de l'autre, avec pour étalon la chanson « Les Petits Pavés », de Maurice Vaucaire et Paul Delmet, un texte exemplaire (...) C'était un travail d'équipe. Jane a trouvé le nom de Sunderland. Mon père, celui du modèle de la Rolls : Silver Ghost. Mais les paroles piétinaient : il avait juste trois lignes par-ci, trois lignes par-là. Serge plongeait dans le Dictionnaire de rimes d'Albin Michel (...) Il s'est alors débrouillé pour que les textes de Melody Nelson forment des sonnets, pour que les mots aient une intensité dramatique, une "forme dangereuse" à la Heredia (...) On avait conscience qu'on s'attaquait à quelque chose de paranormal ».
« Paranormal », Une histoire de Melody Nelson l'est amplement. Et il suffit d'écouter le morceau d'ouverture, « Melody », long de sept minutes et trente-quatre secondes, pour s'en convaincre. Tout est là : dans cette façon de se mettre en scène, de donner vie à une sorte de comédie musicale symphonique, dans cette science poétique et dans ces textures sonores qui, depuis, ont influencé des musiciens anglo-saxons de la trempe de Beck, Portishead ou Sonic Youth.
Publicité