Rédaction
06 March 2020
L'histoire du jeune chevalier de La Barre torturé, condamné à mort sans la moindre preuve ni aveu, décapité et brulé avec un ouvrage de Voltaire cloué sur la poitrine en 1766. Quels crimes abominables avait-il donc commis pour mériter ces atroces châtiments ? Avoir chanté des chansons paillardes, ne pas avoir ôté son chapeau et avoir tourné le dos au passage d'une procession du Saint-Sacrement.... Le cas du chevalier sera encore « aggravé » par la découverte chez lui du Dictionnaire philosophique de Voltaire....
© Comédie Claude Volter |
La nouvelle pièce de Philippe Madral illustre la notion encore très controversée du droit au blasphème dont on a tant parlé ces derniers temps. Que ce soit lors des monstrueux attentats commis au Bataclan et dans les locaux de Charlie Hebdo ou plus récemment avec le déferlement de haine qui s'est abattu sur la jeune Mila menacée de mort, de viol et d'être enterrée vivante pour avoir critiqué l'islam. Ou encore l'affaire Asia Bibi, cette jeune pakistanise chrétienne réfugiée en France après avoir été emprisonnée dans son pays pour blasphème envers l'islam et le prophète Mahomet.
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Aujourd'hui dans de nombreux pays où le pouvoir temporel et spirituel se mélangent, l'interdiction du blasphème constitue un moyen de répression et de raffermissement du politique. C'était aussi le cas en France, au siècle des Lumières, quand la société monarchique commençait à vaciller. Ce qui explique pourquoi la justice de Louis XV a procédé à l'invraisemblable procès et à la condamnation inhumaine du chevalier de La Barre. De nos jours, en France comme en Belgique, le blasphème est protégé par la liberté d'expression et ne relève nullement du droit pénal. Néanmoins, deux conceptions continuent à s'affronter : la défense inconditionnelle de la liberté blasphématoire et la répression de l'irrespect. Difficile d'établir une frontière entre le droit et la civilité.
© Comédie Claude Volter |
La pièce présentée en moment à la Comédie Volter se garde cependant de verser dans le manichéisme. Grâce en soit évidemment rendue à l'écriture de Philippe Madral, mais aussi à la mise en scène fluide et précise de Michel de Warzée et à l'excellente interprétation des comédiens. Stéphanie Moriau, par exemple, qui interprète avec beaucoup de finesse (non dénuée d'une certaine ambiguïté) l'autorité et le désarroi d'une séduisante Mère Abbesse de l'abbaye de Willancourt, cousine et protectrice du chevalier. C'est elle le personnage central autour duquel tourne véritablement la pièce. Pascal Racan joue avec une haine fielleuse le magistrat qui poursuit le chevalier de sa hargne, moins pour des raisons juridico-religieuses que pour venger son orgueil humilié.
© Comédie Claude Volter |
Michel de Warzée incarne Monsieur de Belleval, un aristocrate partagé entre son inclination pour l'Abbesse et le désagrément que lui cause involontairement le chevalier. Ce dernier entretient une liaison secrète avec la jeune Marguerite, une orpheline aisée que Monsieur de Belleval veut unir à son fils. C'est Pénélope Guimas qui interprète cette Marguerite avec spontanéité et de manière très émouvante, notamment dans ses doutes de l'existence d'un dieu de miséricorde. Manuel Chemla est un greffier aussi zélé qu'insensible. Enfin, le chevalier de La Barre est incarné par Jules Churin. Ce jeune comédien exprime avec beaucoup de maitrise la dignité d'un homme injustement accablé par une intolérance mortifère.
La scénographe Rénata Gorka a conçu un impressionnant décor claustral où la profusion de croix crée une atmosphère carcérale sous la surveillance d'un Christ crucifié. Une impression renforcée encore par les subtils éclairages de Bruno Smit. Jean-Claude Frison a aidé à la réussite du spectacle en choisissant un très bel environnement musical, troublant et parfaitement approprié.
À voir à la Comédie Claude Volter jusqu'au 28 mars 2020www.comedievolter.bePublicité