Sylvie Dejardin
13 June 2023
L’Éventail – Pourquoi comparez-vous le monde de l’entreprenariat à celui du sport ? Qu’ont-ils en commun? Qu’est-ce qui les différencie ?
Philippe Leclair – Ces deux mondes partagent, à bien des égards, de nombreuses similitudes. De part et d’autre, il faut des compétences, du talent, la recherche de l’excellence, relever des défis, faire face à la concurrence. Cela demande une bonne dose d’énergie, d’ambition et le goût de l’effort. L’entrepreneur, comme le sportif, doit affronter les mêmes obstacles, comme la confiance en soi, la pression, le stress, la gestion de l’énergie. Mais il y a aussi des différences. Le dirigeant doit exceller dans tous les domaines, il se situe toujours dans l’action, sans temps de repos. Sa carrière est plus longue que celle des sportifs, il travaille douze heures par jour, voire plus, et bien souvent tous les jours de la semaine. Un sportif, quant à lui, jouit de temps de repos qui font partie de son entraînement, afin d’optimiser son énergie. Pour performer dans la durée et garder ses équipes au top de leur forme, l’entrepreneur devrait s’inspirer du sportif, qui doit être attentif tant à son corps qu’à ses émotions et à son mental.
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Le management, un sport de haut niveau. Par Philippe Leclair, Éd. Mardaga, mars 2023
L’Éventail – Quels sont les plus grands ennemis de l’entrepreneur dans sa quête de performance ?
Philippe Leclair – Je commence toujours mes conférences avec cette phrase : “Si vous n’aviez pas de peur imaginaire, que feriez-vous ?” Vous êtes, en effet, votre plus grand adversaire, avec le stress que vous vous auto-infligez. Alors comment arriver à gérer cet encombrant intrus ? Le corps ne ment jamais, le cerveau oui. Le corps est le premier détecteur et amplificateur de stress. Malheureusement, bien des gens en sont totalement déconnectés et ne vivent que dans le cérébral. Ils n’écoutent pas les signaux que le corps émet, comme la crispation, les douleurs, la fatigue, la respiration en apnée. Et pourtant, ménager sa monture permet d’aller loin, tout en étant compétitif et efficace. Développer son sens le plus atrophié, c’est-à-dire la sensation, permet de se reconnecter à son corps et de reprendre le contrôle sur son cerveau. Se décrisper, vivre sans douleur, respirer à pleins poumons, garder un bon niveau d’énergie, tout cela permet d’utiliser son corps de manière juste. Corps crispé, mental crispé. Le corps est bien l’acteur numéro un de la performance, pas la tête.
Une fois le corps décontracté avec un bon niveau d’énergie, je peux développer ma concentration et atteindre ce que l’on appelle “l’état de flow” qui se caractérise par un état mental d’une personne complètement plongée dans son activité. Être concentré, c’est avoir son attention 100 % disponible, ici et maintenant, focalisée sur l’action. Le corps sera le premier support de la concentration dans l’instant présent. Il permet de résister aux distractions qui viennent la parasiter via des exercices qui passent par le corps et non par la tête. Quand on est dans le ressenti, on arrête de penser. En l’absence de toute interférence, on donne le meilleur de soi-même. Le corps, c’est le support pour fixer son attention dans le présent. Il n’y a que la tête qui se promène ailleurs. Le corps est le grand oublié dans le monde de l’entreprise. Il est temps de le mettre au cœur de nos préoccupations. Travailler sur la cause et installer dans son quotidien une nouvelle compétence via l’entraînement mental change la donne. Je deviens mon propre entraîneur si j’apprends à observer les crispations corporelles, la qualité de ma respiration et de mes émotions.
L’Éventail – Quels sont les secrets d’un dirigeant heureux et d’une entreprise prospère ?
Philippe Leclair – Un dirigeant heureux n’est pas celui qui gagne le plus d’argent, comme on pourrait le croire. C’est celui qui concilie à merveille l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, sans s’épuiser. C’est un changement de paradigme avec l’instauration d’un cercle vertueux. La santé amène le bien-être, l’équilibre et la performance. La première valeur ajoutée d’un entrepreneur, c’est sa stabilité émotionnelle. Elle ne se trouve donc ni dans sa position hiérarchique, ni dans son niveau d’expertise ou dans son quotient intellectuel. Confiance, plaisir et calme : trois mots remplis de sens qui s’acquièrent par l’entraînement. La stabilité émotionnelle ne doit pas dépendre de facteurs extérieurs ou du chiffre d’affaires, mais de la santé du dirigeant qui se répercute irrémédiablement sur la santé de l’entreprise. Il sera un vrai libérateur d’énergie, de confiance et de plaisir pour ses équipes.
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