Martin Boonen
19 December 2024
Eventai.be – Qu’est-ce qui peut bien pousser une vigneronne champenoise à s’installer chez nous pour y faire du vin ?
Lauriane Lejour – Tout a commencé lorsque mon associé, Vincent De Busscher, géologue, m’a parlé des similitudes entre la craie belge et celle de la Champagne. Ses collègues lui avaient suggéré de créer un vignoble ici. C’est ce qui a planté les graines de notre projet. À l’époque, nos voisins, Rufus et Chant d’Éole, avaient déjà commencé leurs propres projets (respectivement en 2002 et 2010, ndlr). Nous avons été inspirés par la présence de beaux terroirs potentiellement exploitables en Belgique.
Lauriane Lejour et son associé Vincent De Busscher © Domaine du Mont des Anges
– Vous avez mentionné la craie. Pouvez-vous nous en dire plus sur les terroirs que vous avez sélectionnés ?
– Entre 2015 et 2018, année lors de laquelle nous avons planté nos premières vignes, nous avons sélectionné trois terroirs distincts : Nouvelles avec des argiles à silex et de la craie, Havay avec des calcaires durs, et Ciply avec des craies phosphatées et des marnes. Cela nous permet de cultiver quatre cépages, dont trois champenois (les pinots noir et meunier et le chardonnay) et un cépage interspécifique, le voltis.
© Domaine du Mont des Anges
– Pourquoi avoir ajouté le voltis aux cépages champenois traditionnels ?
– C’est un cépage qui va apporter de la tension, de la fraîcheur, sur des notes d’agrumes, de fleurs blanches, et de la légèreté. Il représente un peu moins de dix pourcent de notre encépagement total. La Belgique est très ouverte aux cépages résistants, ce qui est une belle avancée dans le domaine de la viticulture. Notamment parce qu’en pulvérisant moins, on pratique une viticulture plus propre. Le voltis, résistant aux maladies, permet de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires, ce qui est bénéfique pour l’environnement. Et finalement, la Belgique était en avance sur la Champagne puisque désormais le voltis est entré dans le cahier des charges de l’appellation champagne !
© Domaine du Mont des Anges
– Est-ce que s’installer en Belgique, pour une champenoise, ce n’était pas se compliquer la vie, étant donné les différences en termes d’infrastructure et de culture viticole ?
– Au contraire, cela nous a offert une liberté que nous n’aurions pas eue en Champagne. Nous pouvons expérimenter, innover et parfois aller plus vite que dans des vignobles plus patrimoniaux comme la Champagne justement. J’ai parlé du choix de planter du voltis avant que ce ne soit autorisé en Champagne, mais je pourrais parler aussi de notre choix de planter en vignes larges, pour des raison environnementales, d’ergonomie de travail pour avoir des cultures plus extensives… quand toute la Champagne était encore plantée en vignes étroites. Là encore, être installé en Belgique nous a permis d’être en avance sur la Champagne. J’ai beaucoup parlé de viticulture, parce que c’est l’origine du vin, mais je pourrais en dire autant pour la vinification. Là aussi nous profitons ici d’une liberté qui n’existe pas en Champagne. Nous avons élaboré par exemple une cuvée assemblée directement à la vigne. C’est-à-dire que les raisins de chardonnay et de pinot meunier sont vendangés ensemble et pressés ensemble et non pas vinifiés séparément puis assemblés dans la bouteille. C’est unique.
© Domaine du Mont des Anges
– Comment coexister avec des domaines bien établis comme le vignoble des Agaise (Ruffus) et Chant d’Éole ?
– Leur succès nous aide à nous faire connaître. Ils ont largement contribué à évangéliser le marché pour nous et ils représentent toujours une locomotive pour nous. Le marché belge explose, mais il y a encore de la place pour tout le monde. Et je veux croire que nos produits sont suffisamment différents pour se démarquer et coexister sans problème.
© Domaine du Mont des Anges
– Comment se différencient vos vins justement ?
– Nous avons déjà un encépagement différent, déjà. Alors que nos voisins font la part belle au chardonnay, nous avons, de notre côté, proportionnellement beaucoup plus de pinot noir et de pinot meunier qu’eux. En fonction de l’évolution des maturités, nous embouteillons volontiers des cuvées parcellaires, ce qui se fait encore peu ici. Cela renforce l’effet millésime de nos cuvées, qui ne sont pas forcément, d’une année à l’autre, absolument identiques. Nous l’assumons absolument.
© Domaine du Mont des Anges
– Tout le monde, en Belgique, ne parvient pas à garder des vins de réserve. C’est votre cas aussi ?
– On en garde un peu, oui. L’année dernière, donc en 2023, nous avions du vin de réserve dans notre assemblage. La même année, on en a remis de côté. En 2024, nous allons donc pouvoir en remettre dans l’assemblage. On essaie toujours d’avoir cette réserve qualitative de côté. Ça nous permet aussi, les années où on peut en mettre un peu, de patiner un peu les vins, ça leur amène une complexité en fait.
– Où en êtes-vous aujourd’hui ?
– Nous avons commencé à chercher des parcelles fin 2015 et planté nos premières vignes en 2018. Aujourd’hui, nous cultivons 12 hectares, avec une production qui augmente chaque année. En 2022, nous avons mis en bouteille environ 35 000 bouteilles, et nous prévoyons de doubler cette production.
© Domaine du Mont des Anges
© Domaine du Mont des Anges
– Quels sont les prochains défis pour Mont des Anges ?
– Nous allons lancer des vins à base de voltis uniquement : un vin blanc tranquille et une cuvée effervescdente. On prépare également un rosé de macération (un vin rosé dont la couleur est obtenue en laissant le jus au contact des peaux de raisins rouges qui les colorent, alors qu’en Champagne, traditionnellement, les vins rosés sont obtenus en assemblant des vins rouges et blancs. Il s’agit de la seule appellation autorisée à le faire en France). Nous terminons aussi une campagne de crowdfunding pour poursuivre notre développement. Nous avons également un projet de bâtiment en cours. L’œnotourisme, encore difficile à mettre en place dans notre configuration actuelle, pourrait devenir une partie de notre modèle économique à l’avenir.
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