La Closerie Falbala et autres fantasmagories du Grand Paris

Vous êtes-vous jamais baladé dans une œuvre d’art grandeur nature ? C’est ce qui vous est offert au sein de la Fondation Dubuffet – qui fête ses cinquante ans cette année – à Périgny-sur-Yerres, dans le Val-de-Marne, à 40 minutes au sud de Paris. Sise sur un terrain verdoyant à quelques mètres de l’Yerres, la Closerie Falbala surprend. D’une architecture “contorsionniste” fantasque, conçu comme une place forte pour une créature imaginaire, L’Hourloupe, ce labyrinthe blanc cerné de noir fut construit par Jean Dubuffet à l’aube de ses 70 ans, entre 1971 et 1973. Composé de 1600 m² de ciment atteignant 8 mètres de haut, recouvert de résine et classé “Monument historique” en 1998, cet ensemble impressionnant constitue l’œuvre majeure de l’artiste inventeur du concept de “l’art brut”. Promis à une vaste campagne de restauration extérieure, il abrite le Cabinet logologique, “une chambre d’exercice philosophique recouverte de motifs extravagants tracés en bleu, rouge et noir caractéristiques de L’Hourloupe, ce cycle de travaux (huiles sur toile, dessins, assemblages, sculptures, praticables…) déclinant un foisonnement de figures grotesques et sinueuses imbriquées dans des formes cellulaires hachurées. Un joyeux désordre d’arabesques où le visiteur est invité à plonger pour découvrir les silhouettes drolatiques qui y sont cachées…

Après avoir arpenté le sol mouvementé de la Closerie, puis pénétré dans la Villa et le Cabinet, vous pourrez vous diriger vers les anciens ateliers de sculpture de l’artiste transformés en salle d’exposition. De même que dans les lumineux locaux parisiens (situés au 137, rue de Sèvres), la Fondation Dubuffet y présente ses riches collections de peintures, maquettes d’architecture et projets de monuments, ainsi que ses incroyables sculptures, praticables et autres costumes destinés à être habités et animés, le tout conçu pour le spectacle Coucou Bazar, dont la représentation, lors du Festival d’Automne de Paris en 1973, fit grand bruit. Parmi les nombreuses maquettes en format réduit présentées (maîtres-modèles et transfert de maquettes en époxy peint au polyuréthane), citons le groupe des Quatre Arbres trônant devant la Chase Manhattan Bank, à New York, ou Le Jardin d’émail installé en 1974 dans le parc du musée Kröller-Müller à proximité d’Otterlo, aux Pays-Bas, mais aussi la célèbre Tour aux figures (dans ses différents états) dressée dans le parc de l’île Saint-Germain, à Issy-les-Moulineaux, aux portes de Paris.

Architecture contorsionniste et espaces immersifs

Autre monument à la frontière entre l’architecture et la sculpture, la Tour aux figures. Haute de 24 mètres, elle offre une promenade sinusoïdale de 117 mètres de long. Consistant, comme la Closerie Falbala, en une ossature de béton armé recouverte d’une peau extérieure en résine époxy peinte au polyuréthane, elle apparaît comme son contraire : ses parois intérieures sont blanches et recouvertes de tracés noirs, tandis que son épiderme polychrome fait apparaître, comme le Cabinet logologique, des formes humaines au milieu des motifs imbriqués sens dessus dessous. Appartenant au cycle hourloupéen, cette grotte labyrinthique ascensionnelle, édifiée en 1988 déploie une structure intérieure réalisée en plâtre projeté baptisée Gastrovolve, s’épanouissant, par palier, en petites esplanades. Une autre demeure fantasque destinée, selon son auteur, à être utilisée “comme un lieu occasionnel de retirement et de rêverie”. Un endroit propice à la déconstruction et au “déconditionnement”, comme toutes les œuvres de L’Hourloupe, car de l’imbrication des motifs et de l’entrelacement des lignes faisant apparaître “toutes sortes d’objets qui se font et se défont à mesure que le regard se transporte” découle le “caractère illusoire du réel” et la nécessité de s’en remettre à l’imaginaire…

C’est aussi un voyage entre “le transitoire et le permanent, le réel et le fallacieux” que nous propose La Chaufferie avec cheminée trônant devant le musée d’Art contemporain du Val-de-Marne (le Mac Val) à Vitry-sur-Seine. Destinée à l’origine à abriter le système de chauffage de la Villa Falbala, cette autre sculpture hourloupéenne fut construite, d’après ses plans, onze ans après la mort de Dubuffet en 1985. S’élançant, “dans la contorsion de ses formes et de ses couleurs”, telle une “flamme de résistance et de liberté”, elle est une belle invitation à la vi-site des riches collections du Mac Val qui, dans le cadre de sa nouvelle exposition L’Œil vérité, consacre une salle au plasticien.

Avant de vous y rendre et avant d’aller arpenter la Tour aux figures d’Issy-les-Moulineaux toute proche de Paris, nous vous conseillons de faire un petit crochet depuis la Closerie Falbala par la Maison Caillebotte, à Yerres, située à 15 minutes de Périgny-sur-Yerres. Édifiée dans le style palladien au milieu d’un parc parsemé de fabriques d’ornementation, cette demeure fut celle du peintre impressionniste Gustave Caillebotte qui y peignit plus de quatre-vingts toiles (entre 1860 et 1879). Outre l’orangerie de style néo-classique, le chalet suisse, le potager ou la glacière (ouverts à la visite les samedis et dimanches après-midi), la balade en barque ou en canoë sur l’Yerres et le Café Gustave en font un agréable lieu de villégiature.

Photo de couverture : La Closerie Falbala, 1600 m² d’époxy et de béton projeté peints au polyuréthane, 1971-1973 (remanié jusqu’en 1976). © Fondation Dubuffet, photo J. O. Rousseau