Martin Boonen
05 February 2015
Tout le monde connait les champignons de Paris : petits, blancs, palots et surtout omniprésents! Ils représentent près des trois quarts de la production mondiale de champignons.
Sevan Holemans et Hadrien Velge, deux entrepreneurs bruxellois, ont décidé que leur ville méritait aussi son champignon.
Alors, grâce à leur impulsion, dans des caves du Sablon et de St-Gilles, les premiers champignons bruxellois poussent déjà.
Mais pas n’importe comment …
Economie circulaire, circuits courts, et résilience
Les deux jeunes associés sont économistes de formations, à 27 ans chacun, ils sont imprégnés, comme une partie croissante de leur génération, par l’envie de faire les choses différemment. Notamment au niveau économique.
Tout deux sont des disciples absolu de Gunter Pauli; un industriel belge connu pour être l’un des papes de l’économie circulaire, et le père du concept d’économie bleue. Le Point, The Huffington Post et le Tasmanian Times l'ont surnommé "le Steve Jobs du développement durable".
«L’économie circulaire, c’est la fin d’un modèle de production linéaire, où l’on transforme des matières premières en produit, puis en déchet. L’idée ici, c’est d’arrêter de considérer les déchets comme des déchets justement, mais de les envisager comme des ressources. Grâce à la recherche on peut leur trouver une nouvelle application afin qu’ils puissent, à leur tour, devenir des matières premières » explique Sevan Holemans.
Et pour les Champignons de Bruxelles, l’économie circulaire, ça se matérialise par du marc de café. On sait depuis quelques années qu’il est possible de faire pousser des champignons sur du marc de café. Le marc étant un déchet, sa réutilisation pour l’élevage de champignon est un parfait exemple d’économie circulaire. « Dans notre cas, la boucle n’est pas vraiment fermée : le substrat à base de marc de café que nous utiliserons ne servira plus à faire du café. Mais il pourra être utilisé comme engrais, qui lui, contribuera à faire pousser des légumes. L’idée, c’est de ne pas être obsédé par des boucles, mais de maximiser les flux de matières » nuance l’entrepreneur.
Sevan Holemans et Hadrien Velge, co-fondateurs de Champignons de Bruxelles © CdB |
Le projet, à ce stade, est déjà séduisant, mais ce n’est que la partie émergente de l’iceberg. La partie immergée est encore beaucoup plus impressionnante.
Sevan Holemans et Hadrien Velge tirent un constat inquiétant de notre société : «Notre environnement, au sens global, subit actuellement trois grandes pressions. La première pression, c’est la plus évidente : c’est la pression écologique. Notre modèle économique fait pression sur nos ressource d’une manière non durable. Nous utilisons les ressources de la biodiversité plus vite qu’elles ne se régénèrent. Un jour, cela ne sera plus possible, mais il sera peut-être trop tard. La seconde pression est sociale. Le taux d’emploi est faible et menacé par les délocalisations. En économie, on dit souvent que plus un emploi est local, plus les circuits sont courts, moins ils sont délocalisables. Nous voulons donc favoriser la relocalisation et les circuits courts. La troisième pression est urbaine: il y a une pression énorme sur les terres agricoles, accompagné d’une spéculation délirante. La résilience, c’est la capacité de s’adapter à une menace extérieur. A nos yeux, l’agriculture urbaine est un enjeu fondamental. Il faut que les villes puissent participer à l’effort agricole. C’est la raison pour laquelle nos champignons sont cultivés dans des caves Bruxelloises exclusivement ».
Pour résumer, le projet des Champignons de Bruxelles s’articule autour de trois axes : récupérer des déchets à Bruxelles (économie circulaire), produire localement (circuit court et local) et donc participer à l’effort agricole urbain (résilience).
Un champignon vertueux
Du coup, les champignons, ça ressemble surtout à un prétexte pour les deux entrepreneurs pour parvenir à mettre en oeuvre leurs idées. Alors, pourquoi avoir choisi un champignon asiatique ?
Ce n’est pas un choix anodin ou par défaut. Et quand on parle champignon, c’est Bérangère Paternostre, la biologiste du projet, qui prend la parole : « Les champignons, et les shiitakés en particulier sont au coeur du projet. D’abord parce que le règne des champignons, qui n’est pas le même que celui des animaux ou des végétaux, est bourré de potentiel nutritif, médicinal, pharmaceutique ou industriel notamment, et que la recherche dans ce domaine est encore très insuffisamment financée. La faute à l’inertie des grandes machines universitaires qui ne parviennent pas à sortir de leur domaine de recherche habituel ».
Bérangère, la biologiste du projet © CdB |
Ensuite, le shiitaké, c’est aussi un peu la Rolls du champignon. Il possède en plus d'un parfum doux et agréable, des propriétés nutritives remarquables, avec une richesse en vitamines B, vitamine D, fer, potassium. On lui prête également des capacités à lutter contres les cancers.
« Le shiitaké, dont nonante pour-cent de la production mondiale vient de Chine, a aussi un impact environnemental délirant. Ne fusse que pour le transport, mais aussi parce qu’il pousse sur du chêne. Sa culture intensive est donc responsable de déforestation et d’un large déboisement. Parvenir à les faire pousser autrement, sur du marc par exempte, serait une excellente façon de profiter de ses vertus sans mettre en danger la planète » précise Sevan Holemans.
Mais le shiitaké est un champignon délicat et les conditions pour parvenir à son exploitation sont difficiles à rassembler, d’autant plus sur du marc de café.
C’est pourquoi Bérangère Paternostre mène actuellement une batterie d’expérimentation, sur le site de l’Atelier des Tanneurs, au Sablon, pour trouver la meilleure recette.
« Si on sait depuis quelques années qu’il est possible de faire pousser des champignons sur du marc de café, personne n’avait encore essayé avec des shiitakés. Nous devons donc innover. C’est difficile, mais nous acceptons cette difficulté parce que notre démarche avec ce champignon particulier a du sens, et que l’innovation nous valorise comme entrepreneur. Nous aimons les défis, qu’ils soient écologiques, scientifiques, économiques ou entrepreneuriaux » raconte, passionné, Sevan Holemans.
Des défis entrepreneuriaux immenses
Mais relever des défis, ça prend du temps, et c’est bien connu, en affaire, le temps c’est de l’argent. Alors pour se financer, Sevan et Hadrien ont monté, comme beaucoup d’entrepreneur de leur âge, une campagne de crowdfunding sur KissKissBankBank. Campagne couronnée de succès.
« Notre premier mode de financement, ça été un micro crédit, ensuite, la campagne de crowdfunding nous a permis de fédérer une communauté autour de notre projet. Ca nous a permis de rencontrer Bérangère, notre scientifique, et Raphael, la quatrième de la bande. De cette façon, nos premiers clients sont aussi des investisseurs, mais surtout des ambassadeurs de nos idées ! Et ça, c’est très précieux ».
Traditionnelement, le shitake pousse sur du chêne © ST |
Mais puisqu’il faut laisser le temps à la recherche de progresser, et à Bérangère Paternostre de faire son travail, Sevan et Hadrien, pour des raisons de trésorerie, de communication et de marketing, et aussi pour tester leur idée, ont décidé de produire des shiitakés de manière traditionnelle (sur des rondins ou des copeaux de chêne) … pour le moment.
« Jusqu’à maintenant, personne n’avait essayé de faire pousser des shiitakés sur du marc de café. C’est pourquoi Bérangère mène une large série de tests à l’Atelier des Tanneurs, où nous avons nos bureaux. En attendant que la recette soit prête, nous produisons, de manière traditionnelle, sur du chêne donc, 50 kg de champignons par semaine à Village Partenaire, à St-Gilles. Quand la formule sera au point, nous remplacerons, petit à petit, notre production actuelle par celle sur marc de café. Nous aimerions commencer la transition l’été prochain ».
D’ici là, les défis à venir sont colossaux: trouver un lieu dans le centre de Bruxells pour rassembler les bureaux et l’unité de production, développer des partenariats avec des acteurs de l’horeca pour s’assurer une fourniture régulière et suffisante en marc de café bio et frais (indispensable pour la production), organiser la collecte du marc, sensibiliser les gens à leur projet et faire connaitre le shiitaké et les manières de le cuisiner.
Bref, ce qui leur reste à faire est colossal et Hadrien et Sevan sont bien conscients de la longueur du chemin qui leur reste à parcourir.
Mais leur approche très progressive et pragmatique, l’impressionnant réseau qu’ils ont réussi à mobiliser, leur enthousiasme et celui qu’il soulève autour d’eux, et surtout la façon, globale et complète, dont ils ont pensé et réfléchit leur projet permet d’être optimiste, et d’envisager sérieusement une longue vie aux champignons de Bruxelles et pourquoi pas, de sortir de l’ombre de son lointain cousin parisien…
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