Corinne Le Brun
08 October 2019
Après trente ans de vie politique, le maire de Lyon, Paul Théraneau (Fabrice Luchini) est en panne d'idées. Il se sent complètement vide. Pour y remédier, on décide de lui adjoindre la jeune et brillante philosophe Alice Heimann (Anaïs Demoustier). La délicieuse Anaïs Demoustier tient le premier rôle face à un Fabrice Luchini, brillant dans son mal-être. Rencontre avec l'actrice et le talentueux réalisateur Nicolas Pariser au Festival de Cannes1.
Eventail.be - Comment s'est faite votre rencontre ?
Nicolas Pariser - Au départ, je l'ai écrit pour Fabrice Lucchini. Mais ma femme m'a tout de suite convaincu qu'Anaïs correspondait au rôle. L'héroïne du film c'est Alice et pas le maire.
Anaïs Demoustier - J'ai lu le scénario. La rencontre s'est bien passée. J'aime que ce soit un personnage singulier, qui soit dessiné de façon très subtile. On peut penser tout de suite à une histoire amoureuse, alors qu'il s'agit d'une rencontre autour de la parole et des échanges d' idées. C'était très riche. Alice n'a pas de cynisme, elle a un retour d'héroïne un peu insondable. Elle est contemplative, elle a envie de bien faire les choses et en même temps elle est confrontée à certaines surprises qu'elle accueille avec intelligence. Ce qui me plaisait c'était les personnages derrière la fonction.
- Votre film porte sur le socialisme en quête d'un idéal à travers des grandes idées ?
N.P. - Mon but n'était pas de raviver la flamme du socialisme même si je n'ai rien contre. Aujourd'hui, la droite a plutôt comme objectif une certaine efficacité. Trump, très à droite, revendique plus l'efficacité économique que des valeurs. Du coup, quand il y a moins d'idées, c'est moins grave. Avoir des idées dans la gauche, c'est aller à contre-courant. La droite est plus dans l'accompagnement de la marche des choses. À mon avis, l'enjeu intellectuel est moins fort à droite qu'à gauche. La gauche est en déroute. Je parle d'un maire de gauche d'aujourd'hui, non pas d'un maire sous Mitterrand. Je voulais faire rencontrer une intellectuelle et un maire d'une grande ville aujourd'hui. Je ne pouvais pas faire comme s'il y avait plein d'espoir. Je voulais être crédible et réaliste. Le film s'inspire du roman L'homme sans qualité de Robert Musil. Cela me plaisait qu'une ville comme Lyon ressemble à une ville d'Europe centrale. Les bords du Rhône ressemblent un peu à Budapest.
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- Alice parle beaucoup. Était-ce difficile pour vous ?
A.D. - Oui techniquement, il me fallait apprendre beaucoup de textes et me les approprier. Les scènes, les dialogues pointus devaient être crédibles. J'avais peur de ne pas l'être. Le côté intellectuel me paraissait inhibant, c'est une première pour moi. Il fallait juste que j'apprenne bien mon texte et comprendre ce que je disais.
- Vous vous êtes confrontés à Fabrice Luchini...
N.P. - Je m'étais préparé à quelque chose de potentiellement compliqué. Il me faut toujours dans mes films un acteur très bon et très solide sur le plan technique sur lequel je puisse me reposer. Comme Michel Simon, Gary Cooper, Marcello Mastroianni. En réalité, cela a été très facile. Dans le travail, Fabrice est très sérieux, très motivé. Il fait le film que veut faire le réalisateur. Il a beaucoup de caractère, il prend beaucoup de place mais c'est un rêve pour un réalisateur de travailler avec des comédiens comme Fabrice et Anaïs qui, tous, ont un engagement immense dans le film. Et qui ont le don pour le faire.
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A.D. - J'étais au courant du casting. Je n'ai pas de problème avec les gens qui prennent de l'espace. Je suis assez cliente de l'humour de Fabrice, je le trouve très drôle. Il a un investissement énorme dans le travail. Il respecte beaucoup Nicolas. J'aurais dû résister s'il avait voulu m'écraser, mais ce n'était pas le cas. On devait être ensemble. Les gens connaissent le côté ogre de Fabrice mais ce qui me plaisait c'est que mon personnage avait envie à lui répondre, à lui tenir tête avec des arguments bien pensés. J'avais la matière. Alice un personnage dans la mesure, dans la réflexion, qui a les pieds sur terre. Je me sentais tout à fait en mesure d'être en face de lui.
- Le film repose sur des dialogues politiques. Un choix risqué, non ?
N.P. - Eric Rohmer disait les situations dans la vie où on ne parle pas sont exceptionnelles. On parle tout le temps dans la vie. J'ai pris une situation banale qui est celle de la parole et du dialogue. Ce que j'aime chez Rohmer c'est que les gens parlent énormément mais le film ne parle pas de ce dont ils parlent. Dans mon film, les personnages parlent beaucoup de politique mais ce qui m'intéresse, c'est le lien qui unit Alice et le maire, Alice et ses autres amis. Les discussions politiques ne sont que le vecteur d'échanges affectifs et sentimentaux. On est dans les rapports humains.
Anaïs Demoustier et Nicolas Parisier © DR |
- Le maire, la petite soixantaine, se sent vide. Alice, elle, voit son avenir plus qu'hypothétique. Deux êtres un peu perdus...
N.P. - Un des points de départ du film c'était de montrer quelqu'un qui a un emploi du temps très rempli mais qui a l'impression qu'il ne pense plus. En face de lui, Alice est une femme qui pense beaucoup mais qui n'a aucune idée de ce qu'elle veut faire par la suite. La situation nous paraît tellement difficile à tous qu'on a énormément de mal à se raccrocher dans l'avenir lointain. Dans la génération de nos parents, il y avait cette idée de faire études, d'avoir ensuite un métier pendant 20 ans. Mon père, dentiste à 23 ans, savait exactement ce qu'il allait faire, il imaginait la retraite qu'il a aujourd'hui.
A.D. - Il y a beaucoup de gens autour de moi qui sont dans ce cas-là. Ce n'est pas ce que je vis, personnellement. C'est angoissant, désespérant. L'idéal de vie s'évapore aux yeux de beaucoup de jeunes. Il y a une inquiétude un peu générale.
- Comment voyez-vous la politique (française) aujourd'hui ?
N.P. - Je parlerais plutôt d'une crise de la démocratie plutôt que de la politique. Les gens se méfient qu'il y ait un débat. Cela me rend pessimiste. Tout est tellement pulvérisé.
A.D. - Il faudrait une parole qui nous porte. Cela manque d'idées. J'ai le fantasme politique qui me dise qu'un idéal est beau et porteur. J'entends plutôt parler de leurs affaires, de leurs luttes intestines. Je suis un peu perdue.
1 : Alice et le maire était présenté dans La Quinzaine des Réalisateurs
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