Rédaction
26 February 2018
Présentée dans les tout derniers jours de la compétition, l'oeuvre de la jeune Bucarestoise (38 ans) relève à la fois de la fiction et du documentaire. On y voit Laura, une quadragénaire au visage fermé, s'inscrire dans un établissement spécialisé pour arriver à surmonter sa phobie des contacts physiques. Cette clinique du sexe accueille également d'autres patients qui participent à des ateliers de « body awareness » (perception de son propre corps). À plusieurs reprises, on nous montre que ces séances sont filmées, ce qui donne à penser qu'il y a également ici une dimension de recherche scientifique.
© Manekino Film, Rohfilm, Pink, Agitprop, Les Films de l'Etranger |
Les images sont précises, dépourvues d'affect, et les cadrages d'une précision millimétrée. Selon ses producteurs, le travail d'Adina Pintilie se caractérise par « un style visuel très fort, le courage d'expérimenter au moyen du langage cinématographique et une exploration sans compromis des profondeurs de l'âme humaine ». Même si diverses variations (voyeurisme, S/M, flagellation, etc.) sont illustrées dans Touch Me Not, le film ne nous apprend pas grand-chose de neuf sur le comportement sexuel.
Et je reste perplexe quant à l'usage dans certaines séquences d'un vocabulaire qui sonne terriblement New Age, du tyle « Ecoutons notre corps. Et pour commencer, concentrons-nous sur ce que disent nos doigts de pied » (à ce jour, on ne m'avait pas encore incité à dialoguer avec mes orteils). Malgré le label Ours d'or, je doute que les spectateurs se précipitent lorsque l'opus de Madame Pintilie sortira en salles.
L'Ours d'argent du meilleur film est allé à la Polonaise Malgorzata Szumovska (45 ans) qui nous raconte dans Mug une bien étrange histoire (le titre original, Twarz, pourrait se traduire, me dit-on, par « bouille » ou « tronche). Jacek, un ouvrier qui ne s'intéresse qu'au heavy metal et au body building, travaille à deux pas de la frontière germano-polonaise sur un site où se s'édifie le plus haute statue de Jésus du monde occidental. Mais voici qu'un horrible accident de travail le laisse totalement défiguré. Une audacieuse opération de chirurgie plastique lui donne - pour la première fois en Pologne - un tout nouveau visage.
© Bartosz Mronzowski |
Les médias s'emparent de l'affaire et le transforment en héros national. Le problème, c'est que notre homme ne se reconnaît pas lorsqu'il se regarde dans un miroir... La réalisatrice, dépassant le premier degré, traite cette histoire comme une parabole d'un humour sarcastique, qui conduit à s'interroger sur l'identité polonaise (un sujet d'actualité, dans la mesure où le gouvernement actuel de ce pays s'écarte des normes européennes, tout en réaffirmant son attachement à l'Union). Je serais curieux de revoir ce film quand il arrivera chez nous, car il a une saveur bizarre qui le distingue de bien des productions médiocres présentées en compétition (je pense notamment au long métrage suédois The Real Estate qui mériterait l'Ours de la laideur et de la bêtise).
Mon film préféré de cette 68e Berlinale, Dovlatov (retrouvez le billet consacré à ce film ici), n'a eu qu'une récompense pour la qualité des décors et des costumes, mais je me console en apprenant que nous le verrons bientôt, car il a été acheté pour distribution dans les pays francophones. J'en reparlerai dès qu'il sortira sur nos écrans.
© SAGa Films |
Au total, je dirais que cette 68e édition d'un des trois plus grands festivals du film d'Europe m'a laissé une impression assez terne. C'est paradoxal car le public vient en masse (les Berlinois peuvent s'acheter une place, à la différence de Cannes et Venise, où on ne rencontre que des professionnels), la programmation est gargantuesque (plus de 400 films) et les projections sont d'une excellente qualité. Il y a pourtant beaucoup de mauvaise humeur dans l'air. Plusieurs dizaines de cinéastes allemands ont publié une lettre ouverte demandant des changements radicaux. La presse anglo-saxonne a relayé pas mal de critiques venant des milieux professionnels. C'est un fait : la Berlinale traverse une zone de turbulences. Ce n'est pas dramatique, mais l'équipe actuelle – à commencer par son directeur Dieter Kosslick, l'homme à l'écharpe rouge - semble pédaler quelque peu dans la choucroute.
© Ulrich Weichert/Berlinale |
Les griefs sont nombreux : pas de vision au sommet, pas de politique claire ; trop de sections et de sous-sections (le public et la critique s'y perdent) ; une gestion insuffisamment transparente ; trop d'invitations à des grosses productions américaines dans le seul but de faire défiler sur le podium des vedettes connues. Le virage est déjà amorcé. Dieter Kosslick ne signera plus que la Berlinale 2019. Pour le 70e anniversaire, en 2020, il y aura un nouveau patron. La ministre de la Culture, qui supervise la recherche de l'élu(e) a eu cette formule sibylline : « Ce ne sera pas nécessairement une femme ; ni une personne de nationalité allemande ».
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