Corinne Le Brun
05 January 2022
Eventail.be – Encore un film sur la banlieue aurait-on envie de dire…
Yohan Manca – Je voulais au contraire faire tout ce qu’on ne voit pas sur les films de banlieue, c’est-à-dire des caméras posées, des photos travaillées en numériques. Je n’avais pas envie de montrer ce qu’on voit d’habitude sur les chaînes d’info continue. Je voulais rendre la banlieue très universelle, qu’on ne la situe pas. Les acteurs n’ont pas d’accent.
– Est-ce la cité de votre enfance ?
– Oui, j’avais envie de parler de celle que je connais (au sud de la Seine-et-Marne et à Pantin, ndlr). Je garde le souvenir d’un territoire violent mais aussi très beau, plein d’amour. J’ai vécu dans une banlieue telle qu’ elle est dans le film. J’ai utilisé la chaleur du sud, une lumière chaleureuse qui rappelle mes origines méditerranéennes. Ma mère est d’origine espagnole, mon père, italienne.
– “Mes frères et moi” est adapté d’une pièce de théâtre
– Je me suis très librement inspiré de la pièce écrite par Hédi Tillette de Clermont- Tonnerre (“Pourquoi mes frères et moi on est parti”, ndlr) que j’ai mise en scène et jouée quand j’avais dix-sept ans. Il s’agissait déjà de quatre frères dont l’un découvre l’art du mime, activité pas très courante dans les quartiers populaires. J’ai choisi volontairement l’opéra grâce à la comédienne Judith Chemla, également chanteuse lyrique. J’ai changé le titre de la pièce, les prénoms des frères, à l’exception de Nour.
– L’un des frères se prénomme Hédi…
– Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre est le premier à m’avoir fait travailler comme comédien et metteur en scène. J’adore ce prénom, il peut venir de partout, il recèle quelque chose de mystérieux. Il correspond à mon multi mélange personnel. Je m’identifie à ce prénom. Si j’ai un fils, je l’appellerai Hédi.
– Pourquoi l’opéra ?
– L’opéra, c’est l’art qu’on pouvait se dire totalement éloigné de ce genre de quartier populaire. On a encore ce cliché qui voudrait que l’art lyrique serait guindé, élitiste. En fait, l’opéra est l’art du peuple. L‘art sauve des vies. Il faut en faire un vrai discours politique. Il faut qu’on parle de culture. Au lycée, mon professeur de français m’avait puni en me faisant apprendre un monologue d’Antigone de Jean Anouilh. Toute la classe s’était mise à rire. Mon prof m’a poussé dans un atelier de théâtre. À partir de ce moment-là, j’ai tout vu autrement. Cela m’a ouvert les yeux sur le monde, la vie. Sur moi, ma famille. Le théâtre était devenu une passion.
– Les femmes sont à la fois présentes et absentes dans le film…
– La relation amoureuse est quasi absente ou tournée en dérision. Peut-être parce que les frères ont peur de l’amour. La seule femme qui tend la main, c’est la mère qui les réunit par l’amour. Les quatre frères ont aussi une grande féminité en eux. Le père est absent totalement du film. Je trouvais intéressant que ce soit le grand frère qui porte la responsabilité paternelle et protectrice.
Le jeune comédien Maël Rouin Berrandou, révélé par "Mes frères et moi" © DR
– Nour est incarné par le jeune et épatant Maël Rouin Berrandou. Comment l’avez-vous choisi ?
– C’est son premier vrai grand rôle. Il est passé devant la caméra comme un petit miracle. Il s’est formé au chant classique avec un professeur, spécialiste de la mue pour les voix des pré-adolescents. Maël chante pour de vrai même si c’est le rap qu’il connaît le mieux.
Film
Mes frères et moi
Réalisateur
Yohan Manca
Avec
Maël Rouin Berrandou, Judith Chemla, Dali Bensallah, Sofian Khammes, Moncef Farfar
Sortie
5 janvier 2022
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