Gwennaëlle Gribaumont
23 June 2023
Eva Jospin devant une de ses Forêts. © Raphael Lugassy
Depuis une quinzaine d’années, Eva Jospin (Paris, 1975 – diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2002), fille de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, se distingue par la récurrence de ses motifs : la forêt et les paysages sauvages. De sa pratique laborieuse et sincère naissent des installations et des sculptures déterminées par l’obsession absolue du détail et de la précision.
L’artiste plasticienne transcende le carton brun d’emballage. Une matière d’une simplicité désarçonnante qu’elle façonne – découpe, colle, cisèle, incruste… – avec des outils qui ne sont pas plus sophistiqués (perceuse, ponceuse, cutter…). Entre ses mains patientes et expérimentées, le carton se change en une matière recyclée d’une formidable plasticité, permettant, comme la peinture, d’avoir des repentirs, de pouvoir facilement corriger ou faire évoluer les choses, couche après couche. Et si ses avantages sont nombreux (notamment son caractère peu coûteux), il faut énormément d’éléments et de temps pour que le carton – tel celui que l’on emploie habituellement – soit transformé. Aussi, l’artiste a-t-elle recours à une grande diversité de cartons qu’elle choisit en fonction des propriétés attendues (de la précision des détails, de la résistance…) ou de l’effet recherché.
Forêt, oeuvre présentée à l’occasion de sa “Carte Blanche” pour la maison Ruinart dans le cadre d’Art Brussels 2023. © Courtesy of the artist & Champagne Ruinart
Les mains méticuleuses de l'artiste travaillant sur l'une des ses Forêts. © Courtesy of the artist & Champagne Ruinart
Le résultat de ses assemblages complexes ? D’étranges forêts de ronces d’une impénétrable densité. Des territoires irrésistiblement intrigants parce qu’ils nous tiennent à distance. Ses œuvres, qu’elle décline en de multiples médiums et formats, nous apparaissent telles des grottes avec tout ce qu’elles contiennent de paradoxes. Un espace tantôt menaçant, tantôt rassurant (quand il se fait cavité matricielle). Autant de surfaces de projection au service de la contemplation et de la méditation. Face à ses mystérieuses forêts, épargnées de toute présence humaine mais débordantes de récits, une citation empruntée à Aristote revient constamment : “La nature a horreur du vide”. À raison, Eva Jospin l’encourage à reprendre ses droits.
Depuis plusieurs années, Eva Jospin ne cesse d’être sollicitée. En 2016, elle répondait à une commande spécifique pour la Cour carrée du Louvre. La consécration ! En 2020, c’est à l’abbaye de Montmajour qu’elle intervient. Changement de registre, elle imagine des décors pour les défilés hautes coutures de Dior. Plus récemment, la maison Ruinart lui a confié sa “Carte blanche artistique”. L’artiste a été invitée à livrer sa vision de ce terroir. C’est dans ce contexte, entre deux coupes de champagne au cœur du magnifique lounge Ruinart imaginé pour Art Brussels (lequel réunissait des installations, dessins, sculptures et broderies de l’artiste), que nous avons eu le privilège d’un échange.
“L’intérêt d’une carte blanche est de trouver les points de convergence entre nos deux pratiques si différentes, l’art et le champagne. Entre nous, des liens invisibles très forts existent. D’abord parce que nous transformons tous deux des matières premières très simples : le raisin et le carton. Dans les deux cas, nous observons un lent processus de transformation. Aussi, nous partageons tous deux une relation intime à un territoire.”
Balcon, 2015. © Courtesy of the artist & Champagne Ruinart
Jusqu’à mi-juillet, la Fondation Thalie présente la première exposition monographique de l’artiste en Belgique. Son titre ? Panorama. “C’est tout d’abord le titre d’une installation, étape emblématique dans mon parcours, qui avait été créée pour la Cour carrée du Louvre, en 2016. Mais aussi, le terme ‘panorama’ évoque un état des lieux qui revient en arrière tout en montrant le présent. J’aime quand les titres sont à la fois purement descriptifs et potentiellement évocateurs.”
Commissaire et fondatrice de l’espace, Nathalie Guiot évoque la présentation comme “une déambulation poétique, une invitation à la rêverie aux accents rousseauistes entre fragments de paysages et éléments d’architecture”. Inspiré par les fontaines monumentales de la Rome antique qui devinrent, à la Renaissance, des ornements en vogue au sein des parcs et jardins, le théâtre de rocaille d’un Nymphée de plus de trois mètres de long trône en majesté au cœur de l’exposition, révélant toute la maestria de l’artiste. Plus loin, un dessin (Encre des grottes) confirme encore sa virtuosité. La Fondation présente également une Forêt, enchevêtrement d’arbres et de branches. Autre pièce phare, ce Balcon habillé de lianes finement découpées. Un travail qui partage régulièrement la charge mystique d’un retable. Face à ces territoires qui ne livrent pas toutes les clés, le visiteur peut ressentir une forme de dévotion qui confine au recueillement et à l’humilité.
Cet été, Eva Jospin sera présentée chez Galleria Continua, à San Gimignano, et chez Marianne Ibrahim, à Mexico City (jusqu’au 09.09), mais aussi et surtout au Palais des Papes à Avignon (du 30.06 au 07.01.24). Son univers végétal viendra se confronter à la minéralité du bâtiment. Notons encore que sa production sera exposée dans un autre lieu emblématique de la ville, la Collection Lambert.
Exposition
Panorama
Dates
Du 15 avril au 23 septembre 2023
Adresse
Fondation Thalie
Rue Buchholtz 15
1050 Ixelles
Belgique
Horaire
Du mercredi au samedi, de 12h à 18h.
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