Rédaction
30 October 2015
Alors que nous discutions avec Mme Véronique Carpiaux, conservatrice du Musée namurois Félicien Rops, celle-ci nous faisait remarquer que des images de l'œuvre ouvraient des émissions telles que "C'est du belge" ou encore le journal télévisé alors qu'elle n'en était pas le sujet, et qu'elle était aussi montrée lors des Fêtes de Wallonie. Searching for Utopia serait-il donc devenu un symbole de Namur ?
Tout a commencé dans le cadre de l'exposition Facing Time, Rops/Fabre qui s'est tenue au Musée Félicien Rops du 13 mars au 30 août (voir L'Eventail d'avril 2015, p. 43 - disponible sur tablette). L'idée derrière cette dernière était de faire dialoguer, à travers le temps, deux artistes belges : l'un wallon, Félicien Rops (1833-1898), l'autre flamand, Jan Fabre (1958).
Comment la fascination a-t-elle commencé à agir ? C'est difficile à expliquer rationnellement mais quelques pistes ont été avancées par différents acteurs, liées au lieu, à l'œuvre, à sa charge émotionnelle et son esthétique magnétique. Tout d'abord, les exploitants de commerces sur la citadelle sont unanimes : en terme de fréquentation, la "tortue" – comme elle est surnommée – offre une attraction nouvelle et dynamise ce lieu chargé d'histoire. Ensuite, le lieu à proprement parler ; l'œuvre a permis d'attirer la curiosité des Namurois eux-mêmes sur le fait que des endroits de la citadelle avaient des noms et leur a offert un prétexte pour redécouvrir les remparts. Searching for Utopia a également un caractère particulier de par sa taille et ses dimensions et a nécessité une grue spéciale afin d'être déposée sur son promontoire.
© L'Avenir.net |
Déjà en février, elle avait fait l'objet des titres dans les journaux et autres sites d'information : "Une tortue dans le ciel de Namur". Pour terminer, l'effet que Searching for Utopia procure est unanime : elle en impose. Perché sur les hauteurs de la ville, cet animal chevauché, brillant et transperçant le ciel – qu'il soit bleu ou gris – suscite une émotion autant intrigante et énigmatique que poétique et attractive. On aime ou on n'aime pas l'esthétique, nous n'entrerons pas dans le débat, néanmoins les témoignages étaient éloquents et l'impression saisissante.
L'artiste anversois avait confié, et c'est d'ailleurs de ces paroles qu'est née Facing Time, Rops/Fabre : "Si je devais voler une œuvre dans un musée, ce serait Pornocratès de Félicien Rops." Fabre est un artiste protéiforme et toutes ses œuvres plastiques font référence à une fascination pour le corps et pour la science. Il faut également mentionner la métamorphose comme "concept clé" dans l'approche de son corpus créatif au travers duquel, les existences humaine et animale interagissent en permanence. Searching for Utopia illustre ces propos : une tortue monumentale est chevauchée par un personnage qui n'est autre qu'une représentation de l'artiste. Statue en bronze doré, l'œuvre fait référence dans son titre à l'ouvrage de l'humaniste anglais Thomas More (1478-1535), Utopia, dans lequel l'auteur décrit une île imaginaire où existe un système politique idéal. Nous voilà donc en quelque sorte face à un chevalier sur sa monture à la recherche du graal, l'artiste à la recherche de l'impossible. Le choix de l'animal n'est certes pas fortuit ; créature mythique souvent associée à la création du monde et à l'existence de paradis, la tortue est aussi un symbole de longévité et d'immortalité. Aucun autre animal n'est donc mieux adapté à la recherche de l'utopie.
Félicien Rops, Pornocratès, 1878, aquarelle, pastel et gouache, Ministère de la culture et des affaires sociales de la Communauté française de Belgique Dépôt au musée provincial Félicien Rops Namur. |
À l'origine, Searching for Utopia résulte d'une commande de la ville de Nieuport pour la triennale d'art Beaufort 01. En 2003, Jan Fabre imaginait cette fable contemporaine de l'artiste à la recherche d'un monde meilleur. Initialement placée sur la plage, la statue fixait l'horizon d'un air décidé, prête à conquérir les flots. À sa manière, l'exemplaire namurois sonne très justement : au-dessus du Grognon, sur le lieu-dit du Bonnet de Prêtre, Fabre et son destrier surplombent le confluent de la Meuse et de la Sambre, libres d'emprunter le chemin qu'ils désirent à la recherche d'Utopie. Entre Amsterdam où la statue a été exposée pour ArtZuid en 2011, le jardin de la Guy Pieters Gallery à Saint-Paul-de-Vence (d'où l'exemplaire namurois est venu, par transport spécial de nuit) ou encore Nieuport et Namur, Searching for Utopia est une statue de plein air, réalisée spécialement à cet effet.
La curiosité a attiré de nombreux visiteurs, le Musée Félicien Rops a reçu de nombreuses commentaires afin d'intégrer de manière pérenne Searching for Utopia dans le paysage namurois. Véronique Carpiaux nous confiait : "Nous avons joué le rôle de relais auprès des autorités politiques pour qu'elles recherchent les fonds nécessaires." Le propriétaire de l'œuvre est le galeriste Guy Pieters et il demande 500 000 € pour son achat. Cet été, l'idée d'une campagne de crowdfunding avait été évoquée mais finalement, les choses se sont organisées différemment : la ville de Namur finance à hauteur de 100 000 €, le ministère wallon du Tourisme intervient pour 200 000 € et le Fonds Pierre-François Tilmont de la Fondation Roi Baudouin, qui soutient les musées de Namur et toutes leurs initiatives, 50 000 €.
Mais pourquoi un tel succès ? Juste parce que les citoyens le veulent et que les médias en parlent ? Non, il y a derrière ces investissements un projet de musée d'art contemporain qui serait intégré dans les rénovations de la Maison de la Culture : Searching for Utopia serait donc la première œuvre des collections et un symbole positif pour la concrétisation de cette initiative. Néanmoins, il manque toujours un solde de 150 000 € à trouver. Un appel à souscriptions publiques devait se clôturer le 31 octobre. À l'heure où nous écrivions ces lignes, Dominique Allard, responsable du Fonds du Patrimoine de la Fondation Roi Baudouin, nous confiait : "À ce jour, en promesses 'vérifiables', nous sommes proches du but, il manque environ 10 000 €." Il est donc plus que probable qu'au moment où vous lisez ceci, la fameuse tortue de Jan Fabre, Searching for Utopia, soit namuroise et l'augure d'un futur artistique réjouissant pour la capitale wallonne.
Le dénouement dans les prochains jours! #Staytunned
Searching for Utopia et née en 2003, dans le cadre de Beaufort 01 – triennale d'art actuel sur la côte belge. L'œuvre avait été commandée alors à Jan Fabre par la Ville de Nieuport. Disposée sur la plage, la tortue montré des signes d'érosion due au vent et au sable.
© Guy Pieters Gallery |
La station balnéaire a donc cherché un nouvel emplacement pour cette statue qui, entre-temps, a été envoyée en restauration dans un atelier d'Audenarde (où le processus est suivi de près par Jan Fabre). À son retour, elle sera installée dans son nouvel écrin, Fabreplein – une place pensée en fonction de la tortue et en collaboration avec l'artiste –, à la fin 2016 ou au début 2017.
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