Rédaction
17 November 2016
La toile d'un format oblong inhabituel (55 x 160 cm) ne manque pas d'intriguer. Au registre supérieur, deux hommes fort semblables, portant chemise blanche et veston sombre, se détachent d'un fond nuit noire, dont on devine à peine qu'ils émergent. Leur visage semble éclairé par une source artificielle qui se situerait hors champ, au-dessus et entre eux deux si l'on se réfère aux ombres de leur arête nasale, opposées l'une à l'autre. C'est cette même source de lumière – un spot de théâtre ? – qui éclaire le reste de la scène, au registre inférieur. Sur un plan ocre-brun, de frêles silhouettes minuscules et non reconnaissables évoluent à une échelle bien moindre que les deux grands spectateurs. J'en compte cinquante-neuf, à première vue. Mais peut-être sont-elles plus nombreuses, tapies dans la pénombre.
On serait tenté de n'y voir rien de plus que deux hommes attablés devant une maquette, où de petits bonshommes auraient été disposés çà et là. Impossible. Car comment expliquer que ceux-ci, si flous même à l'avant-plan, ne s'évaporent progressivement dans un lointain horizon ? Pourtant, personnages miniatures et grands hommes partagent indéniablement une même source de lumière, projetant des ombres cohérentes. Le tableau joue sur des effets perspectifs opposés et ambigus. Une ambiguïté d'autant plus accentuée par le fait que l'un des deux grands hommes, celui de gauche, semble poser la main sur ce même horizon.
Goran Djurovic, The Smoker, huile sur toile. © Goran Djurovic |
On pense assez vite aux tableaux tout aussi énigmatiques de notre compatriote Michaël Borremans, qui partage avec Goran Djurovic bien des aspects : pâte dense de la peinture à l'huile, atmosphères sombres, jeux d'échelles a priori incompatibles, mise en scène inquiétante, éclairage théâtral auquel s'adjoignent parfois d'autres éléments scéniques comme des rideaux, un plateau ou un éclairage visible. Avec un langage pictural très particulier, Goran Djurovic pose un regard acéré sur la société actuelle, ses incohérences, ses tourments et ses angoisses. Mais ce regard n'est pas toujours dénué d'une touche de tragi-comique, comme dans ce Fumeur, qu'une mise en scène de music-hall présente à la façon d'un one-man show. Détail cocasse, on y voit la fumée, mais pas la cigarette, absente de la main du personnage, comme de son ombre assez nette !
Né à Belgrade en 1952, l'artiste serbe Goran Djurovic s'est formé à l'académie de Dresde et vit à Berlin depuis 1980. Sa peinture s'ancre dans un riche héritage artistique (sa technique puise dans celle des maîtres anciens : peinture à l'huile, vernis, tempera...) ; couche après couche, il crée des tableaux dont la matière dense et vibrante accentue le côté dramatique. Chaque tableau semble matérialiser un arrêt sur image d'une rare intensité, reconstituant, à travers ses séries, une histoire fragmentée contant les habitudes de notre temps.
Lisez aussi le compte-rendu de l'exposition "Des figurations. Goran Djurovic" dans notre agenda de l'art contemporain, en page 56 de l'édition de novembre de L'Eventail, disponible en librairies et sur tablettes ici.
Des figurations 2. Goran DjurovicPublicité