Martin Boonen
29 January 2020
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas ! Mais peut-être peut-on les éduquer ? Le palais doit se former aux saveurs, aux associations, aux textures et même... aux odeurs. Mais par où commencer ? Les meilleures maisons sont bien souvent obligées de pratiquer des prix à la hauteur de la qualité de leurs menus. Les étoiles de Bibendum, si elles attestent de l'excellence d'un établissement, font gonfler l'addition. Un obstacle parfois rédhibitoire pour les jeunes gastronomes prêts à découvrir la - très - grande cuisine.
© La Villa Lorraine |
Gary Kirchens, jeune chef étoilé de la Villa Lorraine, en est bien conscient. C'est la raison pour laquelle il a décidé, en accord avec la famille Litvine (à laquelle on doit le retour de la Villa au premier plan de la gastronomie de la capitale), de proposer un menu jeune à la carte de du restaurant. Accessible aux jeunes de 18 à 28 ans, il offre un menu 3 services (avec les vins assortis) pour 75€.
Mais à ce prix-là, dans une maison aussi prestigieuse, que peut-on rêver d'avoir ?
Gary Kirchens, jeune chef étoilé de la Villa Lorraine © La Villa Lorraine |
Tout commence par l'accueil. La qualité du service est un des marqueurs du niveau d'un établissement. Celui de la Villa Lorraine est joyeux, chaleureux et poli... sans être guindé. Il détend et permet tout de suite de se plonger dans l'atmosphère si particulière de cet endroit mythique.
© La Villa Lorraine |
Après nous avoir débarrassé de nos manteaux, on nous invite à prendre l'apéritif (compris dans le menu) au bar du restaurant. Lambris sur les murs, épaisse moquette, un grand bar un bois fait face à de profonds fauteuils et canapés tournés autour des tables basses. On prend la mesure du décor. On se croirait dans le salon d'un élégant club londonien. Les oeuvres d'art viennent pimenter l'environnement de touches contemporaines. L'intérieur de la Villa Lorraine ressemble tout à fait à ce que l'on imaginait : luxueux, cossu et confortable.
© La Villa Lorraine |
Joy Scalanski, la formidable sommelière (qui est aussi une excellente mixologiste) élabore des cocktails sur mesure, selon les envies que nous lui avons communiqué. Bien dosés, justement équilibrés, ils sont accompagnés de quelques zakouskis : tartelette flambée, royale de foie gras, anguille fumée, sablé breton, sucrine en tempura, cochon confit et fish and chips (en fait, une croquette de lieu jaune). Le ton est donné.
Joy Scalanski, sommelière et mixologiste © La Villa Lorraine |
Nous sommes installés à une grande table ronde. Trop grande peut être, puisque nous ne sommes pas assis l'un en face de l'autre, mais à 45°. Une disposition originale qui ne facilite pas les discussions. Qu'à cela ne tienne, nous ne serons que plus concentré sur nos assiettes. Et ça tombe bien : c'est pour cela que nous sommes-là. En raison d'une allergie aux poissons et aux fruits de mer, nous avons - malgré nous - contraint le chef à adapter son menu. Ce qu'il est parvenu à faire avec les honneurs !
© La Villa Lorraine |
Après les mises en bouche, arrive l'entrée : un risotto de cèpes et chorizo. Le gras et les épices du chorizo viennent s'associer au champignon. Le risotto signe un sans faute : texture inimitable, assaisonnement rigoureux !
Cette entrée est servie avec un vin de blanc de Loire, un Cheverny, millésime 2017, de chez Philippe Sauger. Très frais, il contrebalance subtilement l'onctuosité du plat. 2017 fut une année difficile pour les vignerons ligériens, mais force est de constater que certains s'en sont tirés avec brio !
© La Villa Lorraine |
Le plat de résistance va faire valoir les mêmes arguments : un bar accompagné d'une déclinaison autour du topinambour et une sauce au vin jaune, et filet de veau, légumes racines, jus corsé de veau. À nouveau, la maîtrise technique est impressionnante et l'homogénéité du plat est absolument impeccable. Il est accompagné d'un verre de Malviasa Nera de 2016, un vin rouge des Pouilles à la persistance épatante.
© La Villa Lorraine |
Avec le dessert, on atteint le point d'orgue du dîner. Une déclinaison d'agrumes : mousse à l'orange, sorbet citron et sablé à la noisette. Ce dernier vient apporter de la mâche au sorbet en même temps qu'il donne un peu de gourmandise à la fraicheur des fruits. C'est la première fois dans ce menu que le chef s'autorise à jouer avec les textures. C'est si bon qu'on craque pour un verre de Sauterne (non compris dans le menu) : un Chateau Lange-Réglat de 2012. La puissance aromatique du Semillon s'accomode à merveille d'une pointe de Sauvignon qui lui confère une belle fraicheur. L'idéal pour terminer en beauté un dîner d'une impressionnante maîtrise.
Si le chef Gary Kirchens voulait proposer une première expérience gastronomique de haut niveau, son pari est indiscutablement réussi.
Entendons-nous : ce n'est pas avec ce menu jeune que vous gouterez les accords les plus audacieux, les associations les plus surprenantes ou que vous verrez les dressages les plus ébouriffants. En revanche, les apprentis gastronomes découvriront une cuisine technique, aux accords imparables, à la réalisation sans faille. Ce menu donne une excellente image de ce que la cuisine gastronomique peut être : gourmande, savoureuse, mais extrêmement précise et pointue.
Il ouvre l'esprit sur les cuissons, les préparations, les équilibres... pour le dire simplement : il donne envie d'aller plus loin, d'en voir plus, d'en goûter plus ! Pour un menu jeune, c'est simplement parfait. Et si la Villa Lorraine, en plus d'être un aboutissement culinaire pour certain, était aussi un point de départ pour de jeunes gastronomes ?
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